LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°204/03-Sénat /P du 7 juillet 2003, le Président du Sénat saisit la Haute Cour Constitutionnelle aux fins d’ émettre son avis sur le sens et l’application de l’article 84, alinéa 3, de la Constitution ;

Considérant que le Président du Sénat expose qu’il existe au sein du Sénat une divergence de points de vue quant à l’application de l’article 84, alinéa 3, de la Constitution ;

Que des membres du Sénat estiment que les amendements faits à l’endroit d’une proposition de loi ne doivent pas être portés à la connaissance du Gouvernement, et que la proposition de loi doit être immédiatement examinée en vue de son adoption ;

Que d’autres soutiennent que lesdits amendements doivent être obligatoirement portés à la connaissance du Gouvernement ;

Considérant que la demande d’avis introduite par un Chef d’Institution aux fins d’interprétation de dispositions constitutionnelles et ce, en application de l’article 123 de la Constitution, est régulière en la forme et recevable ;

Considérant qu’aux termes de l’article 84, alinéas 3 et 4, de la Constitution, « Les propositions de loi et amendements déposés par les parlementaires sont portés à la connaissance du Gouvernement lequel dispose pour formuler ses observations d’un délai de trente jours pour les propositions et quinze jours pour les amendements.
A l’expiration de ce délai, l’assemblée devant laquelle ont été déposés les propositions ou les amendements procède à l’examen de ceux-ci en vue de leur adoption. » ;

Considérant qu’il ressort des dispositions constitutionnelles sus citées les quatre points suivants :
– le Gouvernement détient compétence à discuter des propositions de loi et amendements déposés par les parlementaires par le biais d’observations et amendements ;
– les propositions et amendements sont portés à la connaissance du Gouvernement ;
– le Gouvernement adresse au Sénat ses observations ou ses amendements dans des délais fixés par la Constitution ;
– le Sénat ne peut adopter la proposition amendée qu’à l’expiration du délai imparti au Gouvernement ;

Considérant qu’en droit constitutionnel, un amendement s’entend de toute modification opérée sur un texte de loi au cours de sa discussion ;

Considérant qu’il est de principe et confirmé d’ailleurs par le Règlement Intérieur du Sénat, que les amendements peuvent revêtir différentes formes à savoir, d’une part, les amendements de suppression d’un ou plusieurs articles et, d’autre part, les amendements tendant à s’écarter du texte de la proposition initiale dans la mesure où ils s’y opposent, s’y intercalent ou s’y ajoutent ;

Considérant, en outre, que tout amendement est susceptible de porter soit sur la rédaction d’un ou plusieurs articles, soit sur le sens ou même sur la portée du texte initial ;

Que par conséquent, un amendement est susceptible, le cas échéant, de ne plus revêtir le sens d’une simple rectification de la proposition initiale mais peut également se transformer en proposition nouvelle en cours de discussion ;

Considérant que par avis n°01-HCC/AV du 26 mai 2003, la Cour de céans a souligné, en matière d’élaboration et de discussion de la loi, que « Le chapitre III de la Constitution organise la procédure législative ordinaire laquelle requiert le concours indissociable des compétences de l’Assemblée Nationale, du Sénat et du Gouvernement. » ;

Considérant qu’ainsi, le constituant a voulu assurer un bon déroulement de la discussion de la loi en vertu du principe de la démocratie considéré comme fondement de la République et, qu’en outre, le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels exige que soit pleinement respecté le droit d’amendement conféré tant aux parlementaires qu’au Gouvernement tel que fixé par l’article 84 de la Constitution, et qu’alors, parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition, cette double exigence impliquant qu’il ne soit pas fait un usage manifestement excessif de ces droits ;

Considérant qu’en droit, l’amendement peut être effectué à tous les stades de la procédure législative par le Gouvernement et les parlementaires notamment tant au niveau des travaux de commission compétente qu’à celui de la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi en séance plénière ;

Considérant que ni la Constitution ni la loi ne permettent aux commissions permanentes du Sénat ou aux Sénateurs réunis en séance plénière, de passer outre aux dispositions constitutionnelles régissant la compétence des Institutions de l’Etat dans la procédure législative ordinaire ;

Considérant que les observations initialement déposées par le Gouvernement avant la discussion de la proposition de loi s’entendent de remarques d’ordre général et ne peuvent annihiler le droit d’amendement de ce dernier en cas de modifications apportées ultérieurement par les parlementaires ; que d’ailleurs le Règlement Intérieur du Sénat, en son article 47, alinéa 1, affirme que « Le Gouvernement, les commissions saisies au fond des projets de loi, les commissions saisies pour avis et les Sénateurs ont le droit de présenter des amendements aux textes déposés au Bureau du Sénat. » ;

Considérant ainsi que la communication préalable au Gouvernement de toute modification du texte initial avant son adoption n’est pas seulement destinée à respecter son droit à des observations ou d’éventuels amendements mais aussi et surtout à lui permettre le cas échéant d’utiliser les motions de procédure mises à sa disposition par la Constitution (article 84, alinéas 5 et 6, en cas de diminution de ressources ou d’aggravation des charges de l’Etat et en cas d’empiètement du législatif sur le domaine du règlement) ;

Considérant qu’enfin, le rôle du juge constitutionnel est de faire respecter la répartition des compétences entre les Institutions prévues par la Constitution ;

Considérant que de tout ce qui précède, toute modification apportée à une proposition de loi initiale doit être préalablement portée à la connaissance du Gouvernement selon les conditions édictées à l’article 84, alinéas 3 et 4, de la Constitution à moins de constituer une entrave au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et au principe de la démocratie ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :

Article premier.– Toute modification apportée à une proposition de loi doit être portée à la connaissance du Gouvernement avant son adoption.

Article 2.– Le Gouvernement dispose d’un délai de trente jours pour formuler ses observations en cas de nouvelle proposition.

Article 3.– Le Gouvernement dispose d’un délai de quinze jours pour formuler ses observations pour les amendements qui ne modifient ni le sens ni la portée de la proposition initiale.

Article 4.– Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo le mercredi vingt trois juillet l’an deux mil trois à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
Mme RAHALISON née RAZOARIVELO Rachel Bakoly
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA née RASOAZANAMANGA Rahelitine , Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
Mme DAMA née RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef.