La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°128-PM/SGG/2014 du 20 février 2014, enregistrée au greffe de la juridiction de céans le 21 février 2014, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement saisit le Président de la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, aux fins d’interprétation des dispositions des chapitres premier et 2 inclus dans le sous-titre premier du Titre III de la Constitution concernant notamment le statut constitutionnel du Premier Ministre ;
Considérant qu’à cet effet, le requérant sollicite l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle afin « d’apporter des réponses et des précisions concernant :
– La détermination du périmètre et du champ de compétences respectifs du Président de la République et du Premier Ministre au sein du régime constitutionnel de la IVème République ;
– La définition des rapports entre le Président de la République et le Premier Ministre au sein de l’Exécutif dans le cadre de la Constitution du 11 décembre 2010 » ;

EN LA FORME

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

Que s’agissant d’une interprétation de dispositions de la Constitution présentée par un Chef d’institution, en l’occurrence le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, la présente demande est régulière et recevable ;

AU FOND

Considérant d’emblée, que la Cour de céans tient à préciser que le présent avis ne saurait que procéder à une analyse conceptuelle à partir de la lecture des dispositions constitutionnelles dans la mesure où les compétences du Président de la République et celles du Premier Ministre n’ont pu encore recevoir d’application effective ;

1.  Sur la détermination du périmètre et du champ de compétences respectifs du Président de la République et du Premier Ministre de la IVème République.

a) le champ de compétence du Président de la République, Chef d’Etat.
Considérant que conformément aux dispositions de l’article 45 alinéa premier de la Constitution : « le Président de la République est le Chef de l’Etat » ; qu’au regard des principes républicains, la fonction de Chef de l’Etat place celui qui l’exerce dans une position unique pour trois raisons : « il détient un mandat de représentation nationale, garantit et symbolise la continuité de l’Etat et sa mission s’insère dans le cadre du principe de séparation des pouvoirs » ;
Considérant que selon les dispositions de l’article 44 de la Constitution : « la fonction exécutive est exercée par le Président de la République et le Gouvernement » ; que le Gouvernement lui-même est composé, aux termes des dispositions de l’article 63 de la Constitution, du Premier Ministre et des ministres et qu’au sein de cet Exécutif dualiste, le constituant a défini le champ de compétence du Président de la République, Chef de l’Etat et du Premier Ministre, Chef du Gouvernement, en énumérant leurs attributions respectives ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 45 de la Constitution : « le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il est élu au suffrage universel direct, pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Il est le garant, par son arbitrage, du fonctionnement régulier et continu des pouvoirs publics, de l’indépendance nationale et de l’intégrité territoriale. Il veille à la sauvegarde et au respect de la souveraineté nationale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est garant de l’unité nationale » ;
Considérant que selon les attributions qui lui sont conférées par le constituant, le Président de la République dispose de pouvoirs propres qu’il exerce de façon discrétionnaire, et de pouvoirs partagés, nécessitant un contreseing ministériel ;
Que dans la mise en œuvre de ses pouvoirs propres, le Président de la République :
– « nomme le Premier Ministre présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée Nationale » et qu’ « il met fin aux fonctions du Premier Ministre, soit sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement, soit en cas de faute grave ou de défaillance manifeste » (article 54-1° et 2°) ;
– « contrôle la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat et l’action du Gouvernement » (article 55-7) ;
– « dispose des organes de contrôle de l’Administration » (article 55-8) ;
– « exerce le droit de grâce (et) confère les décorations et les honneurs de la République » (article 58 alinéas premier et 2) ;
– « promulgue les lois dans les trois semaines suivant la transmission par l’Assemblée Nationale de la loi définitivement adoptée. Avant l’expiration de ce délai le Président de la République peut demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles qui ne peut lui être refusée » (article 59) ;
– « peut, après information auprès du Premier Ministre et après consultations des présidents des assemblées prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale » (article 60 alinéa premier) ;
– nomme pour un tiers des membres du Sénat (…) pour partie, sur présentation des groupements les plus représentatifs issus des forces économiques, sociales et culturelle (article 81) ;
– « communique avec le Parlement par un message qui ne donne lieu à aucun débat » (article 94) ;

– Nomme trois (3) des neufs (9) membres de la Haute Cour Constitutionnelle (article 114 alinéa 2) ;
– Soumet obligatoirement à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution, avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances (article 117) ;
– « peut déférer à la Haute Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou réglementaire, ainsi que toutes matières relevant de sa compétence » (article 118) ;
Que, Chef Suprême des Forces Armées, « le Président de la République nomme les militaires appelés à représenter l’Etat auprès des organismes internationaux » (article 56 alinéa 5) ;
Que, dans le domaine des relations internationales, « le Président de la République accrédite et rappelle les Ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République auprès des autres Etats et des organisations internationales, et reçoit les lettres de créance et de rappel des représentants des Etats et des organisations internationales reconnus par la République de Madagascar » (article 57 alinéas premier et 2) ;
Considérant que les autres pouvoirs du Président de la République, nécessitant le contreseing du Premier Ministre et, le cas échéant, des ministres concernés, relèvent de pouvoirs partagés ; qu’à ce titre, le Président de la République :
– sur proposition du Premier Ministre, « nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions » (article 54 alinéa 3) ;
préside le Conseil des Ministres » (article 55-1) ;
– « signe les ordonnances prises en Conseil des Ministres » (article 55-2) ;
– « signe les décrets délibérés en Conseil des Ministres » (article 55-3) ;
– « procède, en Conseil des Ministres, aux nominations dans les hauts emplois de l’Etat dont la liste est fixée par décret pris en Conseil des Ministres »(article 55-4) ;
– « peut, sur toute question importante à caractère national, décider en Conseil des Ministres de recourir directement à l’expression de la volonté du peuple par voie de référendum » (article 55-5) ;
– « détermine et arrête, en Conseil des Ministres, la politique générale de l’Etat » (article 55-6) ;
– « décide, en Conseil des Ministres, de l’engagement des forces et des moyens militaires pour les interventions extérieures, après avis du Haut Conseil de la Défense Nationale et du Parlement » (article 56 alinéa 3) ;
arrête, en Conseil des Ministres, le concept de la défense nationale sous tous ses aspects militaire, économique, social, culturel, territorial et environnemental » (article 56 alinéa 4) ;
peut proclamer, en Conseil des Ministres, après avis des Présidents de l’Assemblée Nationale, du Sénat et de la Haute Cour Constitutionnelle, la situation d’exception, à savoir l’état d’urgence, l’état de nécessité ou la loi martiale, sur tout ou partie du territoire national, lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, son unité ou l’intégrité de son territoire sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouve compromis » (article 61 alinéa premier). Le Président de la République dispose alors de « pouvoirs spéciaux dont l’étendue et la durée sont fixées par une loi organique » (article 61 alinéa 2) ;

(convoque) l’Assemblée Nationale réunie en session extraordinaire, sur un ordre du jour déterminé par décret du Président de la République pris en Conseil des Ministres, soit à l’initiative du Premier Ministre, soit à la demande de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale » (article 76 alinéa premier) ;
-dispose, en Conseil des Ministres, de l’initiative de la révision de la Constitution « en cas de nécessité jugée impérieuse » (article 162 alinéa premier) ;
Considérant que, par ailleurs, le Président de la République peut bénéficier d’un pouvoir législatif délégué, lui permettant, après une habilitation conférée en ce sens par le Parlement de « prendre, par ordonnance en Conseil des Ministres, des mesures de portée générale sur des matières relevant du domaine de la loi » (article 104) ;
Qu’en outre, le Président de la République assure la présidence de certaines instances, notamment celle :
– du Conseil des Ministres (article 55) ;
– du Haut Conseil de la Défense Nationale (article 56 alinéa 2°) ;
– la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature (article 107 alinéa 2) ;
Considérant que le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions que pour les actes accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, que de ceux constitutifs de « haute trahison ou de violation grave et répétée de la Constitution » (article 131) ; que dans ce cas de figure, il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées parlementaires statuant par un vote séparé et n’est justiciable que devant la Haute Cour de Justice, bénéficiant ainsi d’un privilège de juridiction ;
Considérant, néanmoins, que la Cour de céans se doit de constater que la Constitution demeure silencieuse quant à la détermination des éléments constitutifs des infractions qualifiées de haute trahison ou de violation grave et répétée de la Constitution ; que les précisions y afférentes relèvent en principe du domaine de la loi organique ;
Considérant, par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 49 de la Constitution que : « les fonctions de Président de la République sont incompatibles avec toute fonction publique élective, toute autre activité professionnelle, toute activité au sein d’un parti politique, d’un groupement politique, ou d’une association, et de l’exercice de responsabilité au sein d’une institution religieuse » ; que « toute violation des dispositions (dudit article), constatée par la Haute Cour Constitutionnelle, constitue un motif d’empêchement définitif du Président de la République » ;
Qu’ainsi, le Président de la République doit être placé au dessus de toute considération partisane ; qu’en tout état de cause, les règles de procédure applicables à l’infraction invoquée par l’article 49 sus cité relèvent également du domaine de la loi organique et doivent être clairement précisées ;

b) le champ de compétence du Premier Ministre, Chef du Gouvernement.
Considérant que les attributions du Premier Ministre se rapportent, principalement, à la direction du Gouvernement ; qu’à ce titre, le Premier Ministre est, tout d’abord, le Chef du Gouvernement (article 65) ; qu’ à cet effet, il dirige l’action du Gouvernement dont il a autorité sur les membres, et « assure la coordination des activités des départements ministériels ainsi que la mise en œuvre de tout programme national de développement » (article 66) et « conduit la politique générale de l’Etat » (article 65-1°) ; qu’à cet effet, en Conseil de Gouvernement qu’il préside, « il fixe le programme de mise en œuvre de la politique générale de l’Etat et arrête les mesures à prendre pour en assurer l’exécution » (article 66-1°) ;
Que dans l’exercice de ce rôle de direction de l’action gouvernementale, le Premier Ministre est le Chef de l’Administration (article 65-11°), « il assure le développement équilibré et harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées » (article 65 alinéa 3), « saisit en tant que de besoin, l’inspection générale de l’Etat et les autres organes de contrôle de l’Administration et s’assure du bon fonctionnement des services publics, de la bonne gestion des finances des collectivités publiques et des organismes publics de l’Etat » (article 65-8°) ;
Considérant, par ailleurs, que le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire sous réserve de la signature des décrets délibérés en Conseil des Ministres (article 65-6°) ; qu’à ce titre, il est de sa responsabilité de prendre les règlements nécessaires à l’application des lois (article 65-5°) qui « sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution » (article 67) ; qu’il « nomme aux emplois civils et militaires ainsi qu’à ceux des organismes relevant de l’Etat », à l’exclusion des nominations dans les hauts emplois de l’Etat dont la liste est fixée par décret pris en Conseil des Ministres (article 65-12°) ; qu’il « peut, à titre exceptionnel, sur délégation expresse du Président de la République et sur un ordre du jour déterminé, présider le Conseil des Ministres » (article 65 in fine) ;
Considérant, en outre, que le Premier Ministre exerce un rôle important dans la procédure législative, parce qu’il est le seul, au sein du pouvoir exécutif, qui dispose de l’initiative des lois (article 86 alinéa premier) et qu’il conduit très largement la procédure ; qu’ainsi, le Premier Ministre choisit l’Assemblée devant laquelle sera déposé le projet de loi (article 86 alinéa 3), « arrête les projets de lois à soumettre à la délibération du Conseil des Ministres et à déposer sur le bureau de l’une des deux Assemblées » (article 65-4), maîtrisant de ce fait une partie de l’ordre du jour du Parlement, choisit les amendements déposés au nom du Gouvernement, peut décider d’opter pour certaines procédures : opposer l’irrecevabilité d’une proposition ou d’un amendement qui ne relève pas du domaine de la loi (article 86 alinéa 7), engager une procédure accélérée, convoquer une commission mixte paritaire (article 96 alinéa 3), provoquer un vote bloqué « sur tout ou partie des dispositions des textes en discussion » (article 98) ;
Considérant que le Premier Ministre est aussi responsable de la défense nationale dont les grandes orientations sont fixées par le Président de la République ; qu’à ce titre, il « assure la sécurité, la paix et la stabilité sur toute l’étendue du territoire national dans le respect de l’unité nationale ; à cette fin, il dispose de toutes les forces chargées de la police, du maintien de l’ordre, de la sécurité intérieure et de la défense » (article 65-9°) ;
Considérant que dans les mécanismes d’évocation de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée Nationale, le Premier Ministre, « après délibération en Conseil des Ministres, peut engager la responsabilité de son Gouvernement en posant la question de confiance » (article 100);
Considérant que si le principal pouvoir du Premier Ministre réside dans le contreseing qu’il appose aux actes du Président de la République, il dispose aussi d’attributions exclusives ; qu’ainsi, il peut :
– en tant que chef d’institution, « (…) déférer à la Haute Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes autres matières relevant de sa compétence » (article 118 alinéa premier), ou solliciter la Haute Cour Constitutionnelle pour un avis consultatif « sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution » (article 119) ;
– prendre l’initiative de demander au Président de la République de convoquer l’Assemblée Nationale en session extraordinaire (article 76) ;
– donner un avis au Chef de l’Etat sur une dissolution éventuelle de l’Assemblée Nationale (article 60 alinéa premier) ;

2. Sur la définition des rapports entre le Président de la République et le Premier Ministre au sein de l’Exécutif dans le cadre de la Constitution du 11 décembre 2010.
Considérant que d’après leurs compétences respectives sus déterminées par les dispositions constitutionnelles, la Constitution de la IVème République établit un exécutif dualiste et bicéphale au sein duquel le Président de la République et le Gouvernement conduit par le Premier Ministre entretiennent des rapports de collaboration marqués par la prééminence du Chef de l’Etat ;
Que cette situation repose, d’une part, sur un partage vertical des pouvoirs et, d’autre part, sur une légitimité politique plus significative du Président de la République ;
Considérant qu’en premier lieu, dans l’architecture institutionnelle de l’Exécutif, les points d’ancrage et d’articulation entre les attributions respectives du Président de la République et du Premier Ministre procèdent des articles 45 alinéa 2, 54, 55-6° et 65 alinéa premier, lesquels conduisent, conformément à la lettre et à l’esprit de la Constitution, à un partage vertical du pouvoir reposant sur une prééminence du Président de la République sur le Premier Ministre ; qu’il y a lieu de souligner, en second lieu, que la Constitution distingue, selon les dispositions de l’article 62, les pouvoirs propres du Président de la République des pouvoirs partagés, lesquels sont soumis au contreseing du Premier Ministre et éventuellement des ministres responsables de leur réalisation ;
Considérant que les dispositions de l’article 54 de la Constitution laissent accréditer l’idée d’une éventuelle émancipation du Premier Ministre vis-à-vis du Président de la République ainsi qu’elles semblent ouvrir la possibilité de l’institutionnalisation d’un système primo-ministériel, système primo-ministériel au sein duquel le Premier Ministre exerce la réalité du pouvoir ; que toutefois, une analyse approfondie du texte constitutionnel ne confirme pas une telle hypothèse en raison de la situation de subordination statutaire du Premier Ministre par rapport au Président de la République ;
Considérant, en effet, que selon les termes mêmes des dispositions de l’article 55-6° de la Constitution, dont les attributions qui en procèdent, figurent parmi les pouvoirs propres du Président de la République, celui-ci « (…) détermine et arrête, en Conseil des Ministres, la politique générale de l’Etat » ; que certes, il exerce cette prérogative, en collégialité, mais sous sa direction, avec les membres du Gouvernement, dont le Premier Ministre ;
Que, par ailleurs, ainsi que le précisent les articles 65-1° et 66 de la Constitution, le Premier Ministre, en Conseil de Gouvernement qu’il préside « fixe le programme de mise en œuvre de la politique générale de l’Etat et arrête les mesures à prendre pour en assurer l’exécution » ; qu’il s’agit là d’une attribution dérivée de celle accordée au Président de la République par l’article 55 de la Constitution ;
Considérant que les dispositions de l’article 55-7° indiquent de manière claire et nette la primauté du Président de la République et la position subordonnée du Premier Ministre en soulignant que « (le Président de la République) contrôle la mise en œuvre de la politique générale ainsi définie et l’action du Gouvernement » ; que cette attribution conférée au Président de la République, mettant sous son examen et sa souveraine appréciation la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat, mais surtout, sous sa supervision l’action du Gouvernement, conduite par le Premier Ministre, en fait le véritable chef incontesté de l’Exécutif, d’autant plus que le Président de la République exerce ici un pouvoir qui lui est propre ;
Que dans la répartition des rôles entre le Président de la République et le Premier Ministre, tel que le prévoit le texte constitutionnel, les dispositions décrivant les attributions du second viennent confirmer le statut de subordination auquel celui-ci est confiné ; qu’ainsi, selon les dispositions de l’article 65 : « Le Premier Ministre, Chef du Gouvernement : 1°-conduit la politique générale de l’Etat ;2°-a autorité sur les membres du Gouvernement dont il dirige l’action et est responsable de la coordination des activités des départements ministériels ainsi que de la mise en œuvre de tout programme national de développement (…) » ;
Considérant, par ailleurs, que conformément à la tradition du droit public national, le Premier Ministre, en tant qu’ « assurant l’exécution des lois » (article 65-5) détient le pouvoir réglementaire, ce que confirment les dispositions de l’article 69-6 ;
Que toutefois, lorsqu’une matière déterminée a fait l’objet d’un décret délibéré en Conseil des Ministres et si aucune disposition constitutionnelle ou législative ne le prescrit, la compétence réglementaire dévolue initialement au Premier Ministre se trouve transférée au Chef de l’Etat qui préside le Conseil des Ministres (article 55-1) ; que ce déplacement de la compétence réglementaire au bénéfice du Président de la République risque d’être irréversible car il n’existe pas de procédure de déclassement organisée permettant de ramener la matière considérée dans le domaine réglementaire dévolu au Premier Ministre ;
Que dès lors, au fur et à mesure que tels ou tels objets de l’administration sont réglementés par des décrets délibérés en Conseil des Ministres, dont l’ordre du jour est arrêté par le Président de la République, celui-ci dispose de la faculté de faire entrer un décret dans le champ de sa compétence et qu’ainsi, le domaine du pouvoir réglementaire dévolu au Premier Ministre se rétrécit ;
Considérant que l’esprit de la Constitution consacre également la prééminence du Président de la République ;
Considérant que la subordination du Premier Ministre au Président de la République ressort enfin de l’article 54 alinéa 2 de la Constitution ; que si cet article énonce que le Président de la République met fin aux fonctions du Premier Ministre « sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement, ou en cas de faute grave ou de défaillance manifeste », cette disposition n’exclut pas la possibilité d’une révocation du Gouvernement pour « faute grave » ou en raison de « défaillance manifeste » dont l’appréciation première relève de la volonté du Président de la République, en tant que Chef de l’Exécutif ;
Qu’ainsi, à la responsabilité de droit du Premier Ministre devant le Parlement s’ajoute une responsabilité de fait devant le Président de la République ;
Considérant qu’en dernier lieu, la prééminence du Président de la République sur le Premier Ministre procède de la nature différenciée de la légitimité politique du Chef de l’Etat et du Chef du Gouvernement ;
Considérant, en effet, que le Président de la République et le Premier Ministre sont tous les deux revêtus d’une légitimité, légitimité dont toutefois les sources diffèrent ; que si la légitimité du Président de la République procède immédiatement du suffrage universel direct, celle du Premier Ministre est déléguée des volontés partisanes majoritaires au sein de l’Assemblée Nationale ;
Que l’élection du Président de la République au suffrage universel direct constitue un élément politique déterminant de subordination du Premier Ministre aux décisions du Président prises conformément à la Constitution ; que cette primauté politique demeure toutefois conditionnée au soutien du Président par la majorité parlementaire : que cette majorité lui devienne hostile, et la neutralisation du bicéphalisme liée à la primauté présidentielle disparaît également ;
Considérant que la réalisation de la politique générale de l’Etat arrêtée en Conseil des Ministres, repose sur une collaboration franche, loyale et étroite entre les deux responsables de l’Exécutif qui doivent œuvrer ensemble pour pouvoir garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et réaliser l’effectivité de la politique générale de l’Etat arrêtée en Conseil des Ministres ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle
Emet l’avis que :

Article premier.– Les compétences déterminées par la Constitution du 11 décembre 2010 établissent une prééminence du Président de la République, revêtu de la légitimité démocratique issue du suffrage universel direct, sur le Premier Ministre, créant ainsi un rapport de subordination du Premier Ministre, Chef du Gouvernement au Président de la République, Chef de l’Etat.

Article 2.– Le Président de la République et le Premier Ministre sont tenus d’œuvrer ensemble pour garantir une stabilité et une régularité du fonctionnement des pouvoirs publics pour la réalisation effective de la politique générale de l’Etat arrêtée en Conseil des Ministres.
Article 3.– Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mardi vingt-cinq février l’an deux mil quatorze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.