La Haute Cour Constitutionnelle,

 

Vu la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

 

Les rapporteurs ayant été entendus ;

 

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

Considérant que par lettre n°110-PM/SGG/2014 du 28 mars 2014, enregistrée le même jour au greffe de la juridiction de céans, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, saisit le Président de la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, pour apporter des réponses et des précisions sur la nature et la portée de toute procédure consultative engagée auprès de la Haute Cour Constitutionnelle ;

 

EN LA FORME

 

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

 

Que la présente demande, émanant d’un Chef d’institution, en l’occurrence le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, est régulière et recevable ;

 

AU FOND

 

1.      Des attributions consultatives de la Haute Cour Constitutionnelle :

 

Considérant  qu’il ressort des dispositions de l’article 119 de la loi fondamentale que, d’une part, la Haute Cour Constitutionnelle donne un avis pour répondre à une procédure consultative et, d’autre part, elle rend son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution ;

 

Considérant que les attributions consultatives conférées par la Constitution à la Haute Cour Constitutionnelle recouvrent des situations différenciées, lesquelles sont néanmoins définies restrictivement par les termes mêmes de la Constitution ; que si pour certaines situations l’avis est sollicité du Président de la Haute Cour Constitutionnelle, dans d’autres, il doit émaner du corps de la juridiction constitutionnelle, en tant que telle ;

 

Considérant en premier lieu, que la Haute Cour Constitutionnelle est autorisée à exercer la fonction consultative que lui confère l’article 61 de la Constitution ; qu’aux termes des dispositions dudit article, il est indiqué que, « lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, son unité ou l’intégrité de son territoire sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouve compromis, le Président de la République peut proclamer, sur tout ou partie du territoire national, la situation d’exception, à savoir l’état d’urgence, l’état de nécessité ou la loi martiale. La décision est prise par le Président de la République en Conseil des Ministres, après avis des Présidents de l’Assemblée Nationale, du Sénat et de la Haute Cour Constitutionnelle » ; qu’à cet égard, il appartient au Président de la Haute Cour Constitutionnelle de vérifier, au même titre que les Présidents des deux chambres parlementaires, si les conditions exigées par l’article 97 de la Constitution pour le déclenchement de la situation d’exception sont réunies ;

 

Que préalablement à la mise en œuvre des mesures propres à la situation d’exception proclamée par le Président de la République après un avis préalable des Présidents de l’Assemblée Nationale, du Sénat et de la Haute Cour Constitutionnelle , la Constitution souligne dans les dispositions de son article 65 – 10°, qu’ « en cas de troubles politiques graves et avant la proclamation de la situation d’exception, (le Premier Ministre) peut recourir aux forces de l’ordre pour rétablir la paix sociale après avis des autorités supérieures de la Police, de la Gendarmerie et de l’Armée, du Haut Conseil de la Défense Nationale et du Président de la Haute Cour Constitutionnelle » ;

 

Considérant, en second lieu, que la Haute Cour Constitutionnelle exerce ses attributions consultatives dans la procédure particulière de la délégalisation, après la promulgation de la loi et par la voie d’un déclassement, de restituer l’exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement et de donner à celui-ci le droit de modifier une telle disposition par décret, telle que prévue par les dispositions de l’article 97 alinéas premier et 2 de la Constitution, lorsqu’une loi a été adoptée par le Parlement dans un domaine relevant du règlement ;

 

Qu’à cet effet, il est indiqué par lesdites dispositions que, « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décret pris après avis de la Haute Cour Constitutionnelle.

 

Ceux de ces textes qui interviendraient après l’entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si la Haute Cour Constitutionnelle a déclaré qu’ils ont un caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent » ;

 

Considérant qu’en habilitant la Haute Cour Constitutionnelle à exercer une attribution consultative, laquelle constitue un avis préalable requise pour la mise en œuvre des deux phases de la procédure de la délégalisation, l’article 97 alinéa 2 de la Constitution donne à la Haute Cour Constitutionnelle un pouvoir de contrôle a posteriori du respect du domaine de la loi en lui accordant le droit de déclarer le caractère réglementaire de textes de forme législative, permettant ainsi de les modifier par décrets ;

 

 

 

 

Considérant, en outre, qu’aux termes de l’article 119 de la Constitution, « la Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’Institution et tout organe des Collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

 

Que lesdites dispositions aménagent deux procédures de consultation distinctes de la Haute Cour Constitutionnelle, la première habilitant indifféremment tout chef d’institution de l’Etat et tout organe des collectivités territoriales décentralisées à solliciter, à titre préventif au sein d’une procédure d’édiction d’un texte législatif ou règlementaire, un avis consultatif sur la conformité de celui-ci à la Constitution et la seconde, autorisant les mêmes autorités et organes à requérir, à tout moment, un avis interprétatif d’une disposition de la Constitution ;

 

Qu’en tout état de cause, la Constitution a délimité la compétence de la Cour de céans ; que celle-ci ne saurait être appelée à émettre un avis que dans les cas prévus par la Constitution ;

Considérant que la consultation de la Haute Cour Constitutionnelle, avant la mise en œuvre des dispositions des articles 61, 65-10° et 97 de la Constitution, est obligatoire ; que celle prévue par l’article 119 est par contre facultative ;

 

2.      De la nature des attributions consultatives de la Haute Cour Constitutionnelle

 

Considérant qu’en général, en droit, un avis consultatif est une opinion qu’une juridiction peut émettre à la demande d’un organe habilité à le faire sur toute question juridique ;

 

Considérant qu’effectivement, la fonction consultative est une opération préalable rattachée à une procédure décisionnelle ou d’édiction d’un texte ; qu’elle peut être facultative ou obligatoire, étant entendu que l’obligation porte sur le fait de le recueillir et non de le suivre, voire être assortie de la nécessité d’un avis conforme ; qu’elle obéit, dans ces différents cas, à des règles partiellement communes ;

 

Que la première de celles-ci veut que les caractères de la consultation ne se présument pas, mais qu’ils doivent être exprimés de manière claire et expresse ; que la consultation doit être, en droit, distinguées des concertations ou discussions pouvant être engagées, de manière préalable ou parallèle, sans obligations de forme particulières, avec les représentants des différentes catégories de personnes ou d’organismes intéressées par le projet, ou concernées par la décision à prendre ; qu’elle doit être, par ailleurs, distinguée des cas dans lesquels une décision ne peut être prise que sur la proposition d’une autre autorité ou d’un organisme déterminé ;

 

Considérant que l’hétérogénéité de l’avis au sein de cette jurisprudence trouve néanmoins une limite essentielle dans les textes qui les initient et qui opèrent, dans l’ensemble, une restriction de l’activité consultative de la juridiction afin d’assurer, voire de sauvegarder la fonction contentieuse, tel qu’il ressort des dispositions de l’article 120 alinéa 3 de la Constitution, la reprise d’une disposition commune aux précédents textes constitutionnels ; qu’aux termes de celles-ci : «  les arrêts et décisions de la Haute Cour Constitutionnelle sont motivés ; ils ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles », et bénéficient ainsi de l’autorité de la chose jugée ;

Considérant que l’avis ne bénéficie pas de l’autorité conférée par l’article 120 dernier alinéa de la Constitution à l’égard  des pouvoirs publics et des autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant qu’il n’en demeure pas moins que, dûment motivé et rendu en conformité à l’esprit et à la lettre de la Constitution, l’avis conserve son importance juridique ;

 

Considérant qu’en droit constitutionnel, la procédure consultative a, quant à elle, pour fonction non de se substituer au contrôle de conformité à la Constitution, lequel représente l’essentiel du contentieux constitutionnel, mais de faire la lumière sur une difficulté d’ordre juridique ;

Considérant qu’ainsi, la Haute Cour Constitutionnelle est amenée, dans l’exercice de ses attributions, à apporter l’éclaircissement nécessaire, dès lors qu’une disposition constitutionnelle manque de clarté ou apparaît ambigüe, jusqu’à en faire sortir l’esprit et la lettre de la Constitution ;

Que dans des rares cas où des dispositions constitutionnelles seraient en contradiction, la Haute Cour ne peut que dire dans son interprétation ce qui est écrit par le constituant sans en rajouter et ce, afin d’éviter toute dérive quant au cadre de sa mission de contrôle de constitutionnalité ;

 

Considérant que la problématique de l’autonomie de la fonction consultative est commune à toutes les juridictions qui bénéficient, selon les textes qui les instituent, de la dualité des fonctions consultatives et contentieuses, mais qu’en matière constitutionnelle, le contentieux ne peut tenir le consultatif en l’état, excluant tout effet de rapprochement pouvant entraîner, sur le plan procédural, un effet de substitution ;

 

Considérant qu’il convient de souligner que les deux fonctions obéissent à deux principes fondamentaux : le premier est que, par essence, la fonction consultative génère l’expression d’une opinion et qu’en conséquence, elle ne produit pas de décisions normatives, obligatoires et que les avis ne constituent pas des actes juridictionnels ; qu’il est toutefois à observer que la Haute Cour Constitutionnelle, tout en exerçant ses attributions consultatives, a pu être amenée exceptionnellement et pour des raisons techniques, à dire le droit sans procéder au règlement d’un différend ; qu’ainsi, l’autorité juridique des avis rendus est a priori limitée ;

 

Que le second principe veut que la fonction consultative ne peut amener la juridiction à se prononcer sur un différend ; que l’avis ne doit pas aboutir à un exercice de contrôle de conformité de la norme considérée à la Constitution, car cette procédure est expressément organisée par la Constitution elle-même ;

 

 

 

 

 

 

 

 

3.      De la portée de la fonction consultative de la Haute Cour Constitutionnelle

 

Considérant qu’ en général,  si de par sa nature, la fonction consultative n’a pour objet que de recueillir un avis juridique sur une ou des questions précises, elle ne doit pas avoir pour résultat, sauf à l’indication expresse du texte qui l’institue, une quelconque injonction juridique ; que l’avis conforme, c’est-à-dire un avis auquel l’autorité compétente doit se conformer, représente la principale exception à ce principe  mais que celui-ci n’est effectif que lorsqu’un texte le prévoit expressément ;

 

Que le droit constitutionnel matériel de la quatrième République n’énonce, pour les matières nécessitant l’exercice de la fonction consultative énumérées aux articles 61, 65-10°, 97 et 119 de la Constitution, d’éventuels avis conformes, ni tout autre effet contraignant qui y soit rattaché ; qu’ainsi, les avis qui sont pris en ces matières par la Haute Cour Constitutionnelle, sont des actes sans effet obligatoire ; qu’il appartient aux institutions ou organes qui les ont demandés de décider, par les moyens qui leur sont propres, de la suite à réserver à ces avis ;  

 

Considérant, par ailleurs, qu’à l’égal de tout acte émanant de la Haute Cour Constitutionnelle, le libellé formel d’avis, d’arrêt ou de décision conféré par la juridiction constitutionnelle ne saurait suffire, à lui seul, pour déterminer les effets de droit qui en procèdent et que ceux-ci proviennent des critères matériel et procédural définis par la Constitution elle-même ;

 

Qu’ainsi, tout acte pris en application des dispositions des articles 61, 65-10°, 97 et 119 de la Constitution, est soumis au régime juridique de l’avis, et ne produit que des effets juridiques non obligatoires aussi bien à l’endroit de la Haute Cour Constitutionnelle qu’à l’égard  des tiers ;

 

Que les actes pris par la Haute Cour Constitutionnelle produisant les effets contraignants erga omnes et revêtus de l’autorité de la chose jugée selon les dispositions de l’article 120 alinéa 1er de la Constitution, sont ceux qui sont pris en matière de contentieux électoral et de consultation populaire directe dont notamment le contentieux des opérations de référendum, de l’élection du Président de la République et des élections des députés et sénateurs, ainsi que la proclamation des résultats officiels de ces scrutins (article 116 -4° et 5° de la Constitution) ;

 

Qu’en application de l’article 120 alinéa 2, relèvent de la décision, avec les effets obligatoires rattachés à l’autorité de la chose jugée, les activités de contrôle de conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, des règlements autonomes tel que le prévoit l’article 116 – 1° ; qu’il en est de même pour le contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur de chaque Assemblée avant sa mise en application, comme l’indique l’article 117 in fine ; que relève aussi de la décision, le règlement des conflits de compétence entre deux ou plusieurs institutions de l’Etat ou entre l’Etat et une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées (article 116 -2°) ; qu’enfin, la Haute Cour Constitutionnelle se prononce sur une exception d’inconstitutionnalité dont elle est saisie  par une juridiction où une partie évoque cette exception, par le biais d’une décision ;

 

Qu’ainsi, tout acte, quand bien même il porte le libellé de décision, mais qui ne rentre pas dans l’une de ces catégories d’acte venant clôturer une procédure de contrôle de constitutionnalité des normes, ne peut bénéficier du caractère obligatoire erga omnes, et revêtu de l’autorité de la chose jugée ; que les effets de la décision ne concernent que la décision de conformité à la Constitution, la décision de conformité sous réserve d’interprétation et enfin, la décision de non-conformité partielle ou totale ;

 

En conséquence,

la Haute Cour Constitutionnelle

émet l’avis que :

 

 

Article premier– La Constitution du 11 décembre 2010 établit les matières relevant des attributions consultatives de la Haute Cour Constitutionnelle, et définit les modalités de leur exercice dans les dispositions de ses articles 61, 65-10°, 97 et 119.

 

Article 2.- Dans ses attributions consultatives, la Haute Cour Constitutionnelle rend un avis motivé sur la base de la Constitution.

Article  3.Les avis de la Haute Cour Constitutionnelle, non revêtus d’effet obligatoire,  n’en possèdent pas moins une haute valeur juridique ainsi qu’une grande autorité morale.

Article 4.- Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

 

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le  vendredi onze  avril l’an deux mil quatorze à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

 

M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller-Doyen, Président ;

M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller ;

Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller ;

Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;

Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;

M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;

M. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Haut Conseiller

 

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.