La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°190-PM/SGG/ du 2 juin 2015, enregistrée au greffe de la juridiction de céans le même jour, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement saisit le Président de la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, aux fins d’apporter des réponses à la question de savoir si, « l’application simultanée des articles 103 et 131 de la Constitution est-elle possible ? » et de préciser « quelles en seraient les conséquences au niveau de l’exercice de la fonction exécutive, notamment en cas de vide juridique ? »;

EN LA FORME

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution»;

Que s’agissant d’une interprétation de dispositions de la Constitution présentée par un Chef d’institution, en l’occurrence le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, la présente demande est régulière et recevable;

AU FOND

Considérant que par une requête en date du 27 mai 2015 la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie par cinq députés pour que la Cour de céans, agissant en lieu et place de la Haute Cour de Justice conformément aux dispositions de l’article 167 alinéa 2 de la Constitution :
– se prononce, en application des dispositions de l’article 131 de la Constitution, sur la déchéance de Monsieur Hery RAJAONARIMAMPIANINA de son mandat de Président de la République ;
– de constater la vacance de la présidence ;
– de suspendre, par avant-dire droit, la présidence ;
– de dire que l’actuel Gouvernement s’en tienne à l’expédition des affaires courantes ;
– de faire une application combinée des dispositions des articles 52 alinéa 2, et 166 alinéa 3 de la Constitution et par voie de conséquence, désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour exercer les fonctions de chef de l’Etat ;

Considérant, par ailleurs, que des propos ont été tenus par des membres de l’Assemblée Nationale, dont ceux de son Président lors d’un entretien avec la presse le 5 juin 2015 et rapportés par l’ensemble de la presse écrite le 6 juin 2015, aux termes desquels il a été dit que l’Assemblée Nationale « commence à envisager l’éventualité de voter une motion de censure à l’endroit du Gouvernement », en application des dispositions de l’article 103 de la Constitution;

Considérant que de l’éventualité de l’évocation de la responsabilité politique du Gouvernement par l’Assemblée Nationale en se fondant sur ses prérogatives constitutionnelles prévues par l’article 103 de la Constitution, alors qu’une instance concernant la responsabilité pénale du Président de la République, l’autre pilier du pouvoir exécutif, est encore pendante devant la juridiction compétente à cet effet, il en procèderait une situation inédite rendant ouverte l’hypothèse du renvoi de l’ensemble des autorités exerçant la fonction exécutive ; qu’une telle situation n’est aucunement prévue par la Constitution;

Considérant que l’ingénierie constitutionnelle de la IVème République présente cette singularité que le Gouvernement procède du seul Président de la République, lequel « nomme (…) ses membres et met fin à leurs fonctions » (article 54 alinéa 3) ; et que le Gouvernement n’est pas soumis à une investiture de l’Assemblée Nationale, alors que son action est soumise au contrôle de celle-ci ; qu’en outre, le Président de la République dispose par son élection au suffrage universel direct d’une légitimité qui lui est propre;

Considérant, par ailleurs, que selon les termes mêmes des dispositions de l’article 55-6° de la Constitution, dont les attributions qui en procèdent, figurent parmi les pouvoirs propres du Président de la République, celui-ci « (…) détermine et arrête, en Conseil des ministres, la politique générale de l’Etat » ; que certes, il exerce cette prérogative, en collégialité, mais sous sa direction, avec les membres du gouvernement, dont le Premier ministre;

Considérant que le départ éventuel et simultané du Président de la République et du Gouvernement et la vacance, en conséquence, de leurs fonctions respectives, ne sauraient être comblés par le pouvoir législatif, sauf à outrepasser les prescriptions constitutionnelles ; que d’autre part, l’article 52 de la Constitution prévoit que, dans différentes hypothèses, l’intérim du Président de la République est assuré par le Président du Sénat et qu’en cas d’empêchement de ce dernier, les fonctions de chef de l’Etat sont exercées collégialement par le Gouvernement ; qu’en conséquence, la vacance simultanée des deux organes de l’exécutif n’est pas concevable;

Considérant, en outre, que le régime constitutionnel de la IVème République repose sur le principe de « la séparation et (de) l’équilibre des pouvoirs exercés à travers les procédés démocratiques » tel que l’énonce le Préambule de la Constitution ; que le caractère intangible du principe de la séparation des pouvoirs est confirmé par les dispositions de l’article 163 alinéa 1er de la Constitution qui soulignent qu’au même titre que la forme républicaine de l’Etat, du principe de l’intégrité du territoire, de celui de l’autonomie des collectivités territoriales décentralisées et de la durée et du nombre de mandat du Président de la République, « le principe de la séparation des pouvoirs ne (peut) faire l’objet de révision(constitutionnelle) » ; qu’ainsi le principe de la séparation des pouvoirs constitue « le fondement de l’ordre démocratique républicain » tout comme il représente « un principe fondamental de l’ordonnancement constitutionnel »;

Considérant que par son essence même, le principe de la séparation des pouvoirs requiert la nécessité et la réalité de contre-pouvoirs qu’elle organise elle-même, et dont la Constitution garantit l’effectivité;

Qu’ainsi, l’hypothèse de la défection simultanée du Président de la République et du Gouvernement laisserait l’Assemblée Nationale seule en fonction ; qu’une telle éventualité aboutirait à un régime d’assemblée où le Gouvernement émanerait de l’Assemblée Nationale ; que ces situations ne seraient pas conformes à la Constitution;

Considérant que, en tant que garant de la légalité constitutionnelle, la juridiction de céans rappelle qu’elle a, et entend assumer l’obligation minimale de veiller au respect du principe de non-régression des valeurs constitutionnelles et à celui du « non-retour sur l’acquis juridique » de l’Etat de droit démocratique ; qu’à ce titre, elle ne tolèrerait point que puisse intervenir une confusion des pouvoirs, laquelle, outre son caractère manifestement inconstitutionnel, constitue une régression dans la consolidation et l’accomplissement de l’Etat de droit;

Considérant qu’au-delà de sa lettre, une Constitution repose sur un esprit ; que « (…) son esprit procède de la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité (…) » ; que le recours aux prérogatives que la Constitution confère aux différents acteurs de la vie institutionnelle de la République trouvent des limites objectives dans le respect et la préservation « des fondements de l’ordre démocratique républicain » parmi lesquels figurent le principe de la séparations des pouvoirs, et l’impératif catégorique de la responsabilité, qui s’inscrit dans un système de valeurs leur enjoignant à «agir en fonction des effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir » ; que ces limites objectives s’imposent à tous, citoyens et institutions de la République, et qu’elles trouvent notamment une assise pour les députés dans les dispositions de l’article 71 alinéa 3 de la Constitution ;

En conséquence,
la Haute Cour Constitutionnelle
émet l’avis que :

Article premier.- L’application simultanée des articles 103 et 131 de la Constitution ne peut être envisagée.

Article 2.- Le présent avis sera notifié au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi douze juin l’an deux mille quinze à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller-Doyen ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;
Mr. TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;
Mr RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haut Conseiller ;
Mr DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.