La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution du 11 décembre 2010;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°063-CT/P/SG du 11 juillet 2011, enregistrée au greffe de la juridiction de céans le même jour, le Président du Congrès de la Transition demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur l’application de l’immunité parlementaire prévue à l’article 73 de la Constitution ;

Considérant qu’à cet effet, le Président du Congrès de la Transition veut savoir si les membres du Congrès de la Transition peuvent bénéficier des mêmes privilèges procéduraux que les députés, en cas de poursuite et arrestation ;

Qu’à l’appui de sa demande, il se réfère aux termes des dispositions de l’article 166 de la Constitution prescrivant que le Congrès de la Transition exerce les fonctions de l’Assemblée Nationale jusqu’à l’élection du Bureau de la nouvelle Assemblée Nationale de la Quatrième République ;

SUR LA FORME :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’Institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

Considérant que dans le cas d’espèce, il s’agit d’une demande d’avis sur l’applicabilité des dispositions de l’article 73 de la Constitution relatives à l’immunité parlementaire aux membres du Congrès de la Transition ;
Que concernant une consultation sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution présentée par un Chef d’Institution, la demande, régulière en la forme, doit être déclarée recevable ;

AU FOND :

I-Sur la notion d’immunité parlementaire :

Considérant que l’immunité parlementaire constitue un statut privilégié dérogatoire du droit commun pour la protection des parlementaires ;
Qu’elle forme en conséquence un réseau de garanties à l’égard du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire ;
Qu’ainsi, d’emblée, l’immunité parlementaire se révèle comme une exception aux principes sacrés de l’égalité devant la loi et, momentanément, de la séparation des pouvoirs ;
Qu’alors, la mise en œuvre de l’immunité parlementaire, dans le souci d’éviter l’impunité permanente des parlementaires, eu égard aux principes de l’Etat de droit, doit respecter strictement les dispositions constitutionnelles ;

Considérant que la Constitution de la IVème République a consacré l’immunité parlementaire en son article 73 aux termes duquel :
« (alinéa 1).- Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
(alinéa 2).- Aucun député ne peut, pendant les sessions, être poursuivi et arrêté en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée, sauf en cas de flagrant délit.
(alinéa 3).- Aucun député ne peut hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
(alinéa 4).- Toute personne justifiant d’un intérêt peut saisir par écrit le Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale pour mettre en cause un député. Le Bureau doit y apporter une réponse circonstanciée dans un délai de trois mois. »

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 85 de la Constitution, celles de l’article 73 sus-évoquées sont aussi applicables au Sénat ;

Considérant que de la lecture dudit article, la Constitution, en accordant le privilège de l’immunité aux parlementaires, leur reconnaît deux régimes distincts, à savoir celui de l’irresponsabilité et celui de l’inviolabilité ;

Considérant, en premier lieu, que l’alinéa premier de l’article 73 de la Constitution consacre clairement l’irresponsabilité du député par la garantie de la libre communication des pensées et des opinions au profit des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions ;

Considérant que cette garantie constitutionnelle protège tout parlementaire de toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de son mandat et qu’ainsi, sa finalité est de protéger les parlementaires contre toutes les conséquences pouvant résulter de l’expression de leur opinion à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ;

Considérant, en second lieu, qu’en ses alinéas 2 et 3, l’article 73 de la Constitution consacre l’inviolabilité parlementaire pendant les sessions et en dehors des sessions ;
Que cette mesure consiste essentiellement à garantir le libre exercice de ses fonctions par le parlementaire contre toutes mesures privatives de liberté motivées par des considérations d’ordre politique ;

Considérant que l’alinéa 2 de l’article 73 précité, sauf le cas de flagrant délit, subordonne la mise en œuvre des poursuites pénales et de l’arrestation à la levée préalable de l’immunité par l’Assemblée dans la seule hypothèse où le parlement est en session ;

Qu’ainsi, la poursuite et l’arrestation d’un parlementaire, en matière criminelle et correctionnelle, pendant les sessions, ne peut avoir lieu qu’à la stricte condition que l’Assemblée dont il est membre n’ait préalablement levé son immunité ;

Considérant ensuite qu’en dehors des sessions, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 73 de la Constitution, l’arrestation d’un parlementaire est subordonnée à la levée de son immunité par le Bureau de l’Assemblée à laquelle il appartient, sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ;
Qu’il en résulte, en premier lieu, que pendant l’intersession, les poursuites pénales peuvent être librement exercées contre un parlementaire, en matière criminelle et correctionnelle, et en second lieu, que seule l’arrestation peut avoir lieu en dehors des sessions, sur autorisation du Bureau de l’Assemblée, et non la poursuite ;

Considérant qu’il en découle que si le régime d’irresponsabilité est attaché au fond du droit, celui de l’inviolabilité est plutôt relatif à la procédure ;

II-Sur le champ d’application de l’immunité parlementaire dans la Constitution de la IVème République :

Considérant que le Sous-Titre II (Du législatif) du Titre III de la Constitution (De l’organisation de l’Etat), en ses articles 68 et suivants, a clairement défini ceux qui peuvent porter la qualité de membres du parlement ;

Considérant que les membres de l’Assemblée Nationale, aux termes de l’article 69 de la Constitution, sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct et portent le titre de « Députés de Madagascar » ;

Considérant par ailleurs que la qualité de « Sénateur de Madagascar » est définie aux articles 80 et suivants de la Constitution et que les articles 71 à 79 de la Constitution sont applicables au Sénat ;

Considérant que de la lettre et de l’esprit de la Constitution, il ressort clairement que le privilège de l’immunité parlementaire est attaché à la qualité de sénateur ou de député élu ;

Considérant que la qualité de député s’acquiert après l’élection au suffrage universel en vertu des dispositions de l’article 69 de la Constitution ;
Qu’ainsi, l’immunité parlementaire constitue un principe inhérent à la souveraineté représentative et que son application est strictement limitée aux dispositions constitutionnelles ;

III-Sur le privilège reconnu aux membres du Congrès de la Transition en application de l’ordonnancement juridique interne en vigueur :

Considérant que le Congrès de la Transition a été mis en place par l’ordonnance n°2010-010 promulguée le 8 octobre 2010, dont la conformité à la Constitution a été consacrée par la décision de la Haute Cour Constitutionnelle sous le numéro 09-HCC/D3 du 7 octobre 2010 ;

Considérant que conformément aux dispositions de l’article 4 de l’ordonnance sus-citée, les membres du Congrès de la Transition, au nombre de deux cent cinquante six, sont désignés par décret pris en Conseil des Ministres par le Président de la Haute Autorité de la Transition, sur proposition des partis et associations politiques ;

Considérant que pour la protection des membres du Congrès de la Transition et la garantie de leur liberté d’opinion, de parole, d’expression et de vote dans l’exercice de leurs fonctions, un privilège leur est reconnu par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance sus-évoquée ;

Considérant, en effet, qu’aux termes des dispositions dudit article 7, en son alinéa premier : « Aucun membre du Congrès de la Transition ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions qu’il émet dans l’exercice de ses fonctions » ;

Considérant qu’il s’agit en droit de la reconnaissance du régime d’irresponsabilité au profit des membres du Congrès de la Transition, les députés élus au suffrage universel jouissant du même privilège selon la Constitution ;

Considérant, par ailleurs, qu’aux termes des dispositions de l’article 15 de l’ordonnance n°2010-010 du 8 octobre 2010, les membres du Conseil Supérieur de la Transition jouissent du régime d’irresponsabilité parlementaire ;

Considérant qu’aucune disposition de l’ordonnance précitée n’accorde au profit des membres du Congrès de la Transition d’ autres privilèges attachés à l’immunité parlementaire ;

Considérant que le règlement intérieur du Congrès de la Transition du 25 novembre 2010, a été déclaré conforme à la Constitution par décision n°13-HCC/D3 du 8 décembre 2010 de la Cour de céans;

Considérant qu’aux termes de l’article 71, in fine, dudit règlement intérieur : « Les membres du Congrès de la Transition jouissent de l’immunité parlementaire prévue par la Constitution » et qu’en outre, aux termes de l’article 72, alinéa premier, du règlement intérieur : « Pour les demandes éventuelles de levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Congrès, il est constitué une commission de vingt-neuf membres nommés selon les procédures prévues aux articles 30 et 31 » ;

Considérant, en conséquence, qu’il échet de déterminer la catégorie d’immunité parlementaire dont peut bénéficier le membre du Congrès telle qu’énoncée à l’article 71 du règlement intérieur et de circonscrire le sens devant être donné à l’alinéa premier de l’article 72 du même règlement ;

Considérant, d’une part, qu’en prenant comme références en son visa et la Constitution et l’ordonnance n°2010-010 du 8 octobre 2010 relative à la mise en place du Parlement de la Transition, le règlement intérieur du Congrès de la Transition a été pris en application tant de la loi fondamentale que des dispositions de l’ordonnance précitée ;
Qu’il en ressort que l’immunité parlementaire visée à l’article 71, in fine, du règlement intérieur ne concerne que le régime d’irresponsabilité et non celui de l’inviolabilité ;

Considérant, d’autre part, que l’éventualité de demandes de levée d’immunité parlementaire prévue à l’article 72, alinéa premier, du règlement intérieur se rapporte à la commission d’actes pénalement répréhensibles par le membre du Congrès dans l’exercice de ses fonctions, actes ne pouvant être juridiquement couverts par la liberté de vote et d’opinion donc par le régime d’irresponsabilité ;
Que dans ce cas, il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier l’opportunité de demande de levée d’immunité parlementaire ;

Considérant que de ce qui précède, les membres du Congrès de la Transition bénéficient d’une immunité relative au régime d’irresponsabilité et non à celui de l’inviolabilité réservé par la Constitution aux seuls députés et sénateurs ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :

Article premier.- Les membres du Congrès de la Transition, de même que les membres du Conseil Supérieur de la Transition, bénéficient du régime d’irresponsabilité parlementaire et non de celui de l’inviolabilité.

Article 2.- Les membres du Congrès de la Transition ne bénéficient pas des mêmes privilèges procéduraux que les parlementaires élus.

Article 3.- Les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n°2010-010 du 8 octobre 2010 exhortant les membres du Congrès de la Transition à agir dans un cadre juridique et éthique de façon responsable, respectueuse et conviviale, sont appelées à régir les relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement de la Transition dans le souci de sauvegarder les principes de l’Etat de droit et dans le but d’assurer la collaboration permanente entre les Institutions de la Transition.

Article 4.- Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi quinze juillet l’an deux mil onze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.