La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la Délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle, modifiée et complétée par la Délibération n°03-HCC/DB du 28 octobre 2021 ;
Vu le Code pénal malgache ;
Vu la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ;
Vu la loi déférée ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
1.Considérant que par lettre n°137-PRM/SGP/SGA/DEJ/2025 du 28 juillet 2025, reçue et enregistrée le 29 juillet 2025 au greffe de la Haute Cour de céans, le Président de la République a saisi la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’ article 117 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité, avant sa promulgation, de la loi n°2025-008 sur la protection spéciale des personnes atteintes d’albinisme;
2.Considérant que l’article 116 alinéa premier de la Constitution dispose que la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, et des règlements autonomes» ; que l’article 117 de la Constitution énonce que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. » ;
3.Considérant que la loi n°2025-008 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat, en leurs séances respectives du 11 juin 2025, du 30 juin 2025, du 03 juillet 2025, du 02 juillet 2025 et du 04 juillet 2025;
4.Considérant qu’il résulte des dispositions sus rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;
AU FOND
- Considérant que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 à laquelle Madagascar a adhéré, a proclamé que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés sans distinction aucune;
Que la Constitution, dans son préambule, affirme que l’élimination de toutes les formes d’injustice, d’inégalité et de discrimination ainsi que la présérvation de la sécurité humaine contribuent à l’épanouissement de la personnalité et de l’identité de tout Malagasy, facteur essentiel de développement durable;
Qu’ainsi, l’article 8 de la loi fondamentale prévoit que “Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie”; qu’il ajoute aussi par ailleurs que “Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants”; que selon les articles 17 et 21, “ l’Etat protège et garantit l’exercice des droits qui assurent à l’individu son intégrité et la dignité de sa personne, son plein épanouissement physique, intellectuel, moral et assure la protection de la famille par son libre épanouissement ainsi que celle de l’enfant par une législation et des institutions sociales appropriées.”;
6.Considérant que la présente loi a pour objet de garantir aux personnes atteintes d’albinisme, en raison de leur vulnérabilité, le droit de bénéficier de mesures spéciales de protection à caractère administratif, social, judiciaire, éducatif et sanitaire et de les protéger de toutes formes de négligence, d’exploitation et d’atteinte physique et morale; qu’elle vise également à renforcer la responsabilité des parents, de la communauté et de l’Etat à l’égard de ces personnes; qu’elle intervient pour compléter l’arsenal juridique mentionné tantôt par une clarification des faits répréhensibles par la loi tantôt par une orientation sociale d’assistance envers ces individus;
7.Considérant par ailleurs qu’en dépit des instruments juridiques et engagements existants, les personnes atteintes d’albinisme se voient de plus en plus exposées à de multiples actes de violences en raison de leur particularité; que préoccupé par le fait, le législateur veut intervenir pour compléter l’arsenal juridique actuel et renforcer la répression desdits actes;
8.Considérant cependant que les dispositions de la loi déférée sur lesquelles repose essentiellement son efficacité, sont impropres et incohérentes;
Que l’objectif constitutionnel d’accessibilité, de clarté, d’intelligibilité impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises, dépourvues d’équivoque, afin d’éviter tout arbitraire et de permettre une application égalitaire de la loi laquelle est censée être la même pour tous;
Qu’en effet, l’article 20 de la loi parle de “sacrifice humain” lequel, par définition, consiste à ôter la vie d’autrui; que dès lors, sur le plan pénal, il s’apparente à un meurtre, infraction prévue et punie par les articles 295 et 304 du Code pénal;
Que par ailleurs, les peines prévues à l’article 22 de la même loi est une peine criminelle du point de vue quantum; qu’ainsi, au lieu de dire “d’une peine de 10 à 20 ans d’emprisonnement”, le législateur devrait dire “d’une peine de 10 à 20 ans de travaux forcés à temps”; que d’ailleurs, l’article 19 du Code précité dispose: “La condamnation à la peine des travaux forcés à temps sera prononcée pour cinq ans au moins et vingt ans au plus”;
- Considérant que les articles 20 et 22 constituent de par leur nature, l’essence et la substance même du texte et ne peuvent pas être détachés de l’ensemble de la loi;
Que le principe de l’interprétation stricte des lois pénales interdit aux juges d’en modifier le sens, d’en étendre le domaine par analogie à des cas qu’elles n’ont pas expressément prévus;
10.Considérant de tout ce qui précède qu’il convient de déclarer la loi n°2025-008 non conforme à la Constitution et qu’elle ne peut être promulguée;
EN CONSEQUENCE
DECIDE :
Article premier. – La saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.
Article 2. –La loi n°2025-008 sur la protection spéciale des personnes atteintes d’albinisme n’est pas conforme à la Constitution et ne peut être promulguée.
Article 3.– La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat et publiée au Journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue par visioconférence à Antananarivo, le jeudi sept août l’an deux mille vingt-cinq à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller-Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller ;
Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.
