La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle, modifiée et complétée par la délibération n°03-HCC/DB du 28 octobre 2021 ;
Vu la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances ;
Vu le Code général des impôts ;
Vu le Code des douanes ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
1.Considérant que par lettre n°001-PRRM/SGP/DEJ/2025 du 12 décembre 2024, déposée et enregistrée au greffe de la Haute Cour de céans le même jour, le Président de la Refondation de la République a saisi la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 117 alinéa premier de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour l’année 2026 ;
- Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes. »; que selon l’article 117 de la loi fondamentale, «avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. » ;
3.Considérant, d’une part, que l’objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu des articles 90, 95, 116 et 117 de la Constitution ; que le Parlement autorise chaque année par le vote du budget les dépenses et les recettes de l’Etat ; que d’autre part, l’article 92 alinéa premier de la Constitution dispose que « le Parlement examine le projet de Loi de finances au cours de sa seconde session ordinaire » ;
- Considérant que la loi n°2025-021 portant loi de finances pour l’année 2026 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances plénières respectives du 25 novembre 2025 et du 05 décembre 2025 ;
- Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que la loi déférée est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la Refondation de la République, régulière en la forme, est recevable ;
AU FOND
Sur les procédures d’adoption et d’examen du projet de loi de finances
- Considérant que le contrôle de constitutionnalité des lois de finances s’opère au regard des dispositions constitutionnelles ainsi que de celles de la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances, tel que prévu implicitement par l’article 90 de la Constitution ;
- Considérant que les lois de finances, bien qu’ayant la nature de lois ordinaires, sont soumises à une procédure d’adoption spécifique ; qu’à ce titre, le Parlement autorise chaque année par le vote du budget les dépenses et les recettes de l’Etat ; que les procédures d’examen et d’adoption du projet de loi de finances par le Parlement sont prévues par l’article 92 de la Constitution ainsi que les articles 45 à 50 de la loi organique précitée ;
- Considérant que la Constitution prévoit des délais particuliers pour l’examen du projet de lois de finances ; que selon l’article 92 alinéa premier de la Constitution , celui-ci est examiné par le Parlement au cours de la seconde session ordinaire ; qu’en vertu de l’alinéa 3 du même article le Parlement dispose d’un délai maximal de soixante (60) jours pour procéder à cet examen ; que les alinéas 4 et 5 dudit article fixent les délais respectifs impartis à l’Assemblée Nationale et au Sénat ; qu’en l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les délais constitutionnels ont été respectés, la loi de finances pour l’exercice 2026 ayant été adoptée par l’Assemblée Nationale le 25 novembre 2025 et par le Sénat le 05 décembre 2025, au cours de la seconde session parlementaire ;
- Considérant dès lors que les procédures d’adoption et d’examen du projet de loi de finances sont conformes aux exigences constitutionnelles ;
Sur les documents joints au projet de loi de finances
- Considérant que l’article 44 alinéa premier de la loi organique n°2004-007 dispose que : « Sont joints au projet de loi de Finances de l’année :
- un rapport définissant les conditions générales de la situation économique et financière,
- une annexe détaillant le projet de budget à soumettre au vote parlementaire par programme, par type de recettes et par type de dépenses avec indication des montants, par institution, ministère et par service,
- une annexe relative aux effectifs budgétaires,
- une annexe sur les dépenses d’investissement,
- la liste des Comptes Particuliers du Trésor faisant apparaître le montant des recettes, des dépenses ou des découverts prévus pour ces comptes,
- s’il y a lieu, la liste complète des taxes parafiscales,
- enfin, des annexes générales prévues par les lois et règlements, destinées à l’information et au contrôle du Parlement. » ;
- Considérant qu’il ressort de l’examen des documents joints et annexés à la loi de finances pour l’année 2026 que ceux-ci sont présentés en trois (3) tomes ; que le tome 1 comprend, d’une part, la perspective de performance économique (annexe 1) et, d’autre part, le plan pluriannuel de performance des administrations publiques (annexe 2); que le tome 2 comporte dix-huit (18) annexes détaillant les recettes et les dépenses par service au sein de l’administration ; que le tome 3 est consacré au cadre à moyen terme, comprenant notamment le cadre macro-budgétaire ainsi que le cadre des dépenses ;
Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les prescriptions de l’article 44 de la loi organique n°2004-007 sont respectées ;
Sur le respect des principes budgétaires
- Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle, juge de la conformité des lois de finances à la Constitution et à la loi organique sur les lois de finances, est tenue de contrôler et de vérifier le respect des principes budgétaires en l’occurrence du principe de l’équilibre budgétaire ;
- Considérant qu’aux termes de l’article premier de la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances : « Les lois de Finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte compte tenu des contraintes d’ordre macro-économique. » ;
- Considérant que l’article 14 de la loi de finances 2026 présente sous forme d’un tableau à trois colonnes intitulées respectivement « nomenclature », « recettes » et « dépenses », l’équilibre général de la loi de finances pour 2026 ;
- Considérant que le montant total des recettes, arrêté à vingt-six mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf milliards six cent quatre-vingt-deux millions cinq cent un mille Ariary (Ar 26 799 682 501 000,00), est strictement égal au montant total des dépenses, arrêté au même montant ; que l’équilibre budgétaire exigé par la loi organique relative aux lois de finances est respecté ;
Sur l’article VI-28 avant dernier et dernier alinéas de la loi déférée
- Considérant que l’article 108 de la Constitution dispose : « Dans leurs activités juridictionnelles, les magistrats du siège, les juges et assesseurs sont indépendants et ne sont soumis qu’à la Constitution et à la loi. A ce titre, hors les cas prévus par la loi et sous réserve du pouvoir disciplinaire, ils ne peuvent en aucune manière, être inquiétés dans l’exercice de leurs fonctions » ;
- Considérant que l’article VI-28 avant dernier et dernier alinéas de la loi déférée énonce que : « […] Le contentieux de l’impôt est instruit et jugé sur pièces, exclusivement à partir des éléments produits par le requérant dans sa réponse à la notification primitive, lors du délai oral et contradictoire et dans sa réclamation préalable. Sont irrecevables devant le juge les faits, justification et pièces non préalablement communiqués à l’Administration lors de ces phases.
A cet effet, il est défendu au juge de déclarer recevables les requêtes contrevenant aux dispositions du présent article, ainsi que de statuer quel qu’en soit le motif, sur une demande, tout fait, moyen, justificatif ou pièce non préalablement soumis à l’Administration, sous peine, en leur nom propre et privé, d’être tenus solidairement au paiement des impositions exigibles. » ;
- Considérant que ces dispositions de la loi de finances 2026 fixent les conditions de recevabilité des requêtes en matière de contentieux fiscal devant le juge fiscal et prévoient que ce juge statue exclusivement sur les pièces préalablement communiquées à l’Administration fiscale ;
- Considérant qu’en matière de procédure du contentieux fiscal, le contribuable a l’obligation de soumettre à l’administration fiscale l’ensemble des faits, moyens et pièces avant de saisir le juge fiscal compétent poursuit un objectif légitime de bonne administration de la justice et de respect du principe du contradictoire ;
- Considérant cependant que selon le dernier alinéa du même article VI-28, il est interdit au juge fiscal de déclarer recevables les requêtes contrevenant aux dispositions de l’avant-dernier alinéa du même article ; que les juges qui statueraient sur de tels éléments seraient, « en leur nom propre et privé, tenus solidairement au paiement des impositions exigibles » ;
- Considérant que selon l’article 108 de la Constitution, dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles, les magistrats du siège ne sont soumis qu’à la Constitution et à la loi, et qu’ils ne peuvent être inquiétés pour les décisions qu’ils rendent, hors les cas prévus par la loi et sous réserve du pouvoir disciplinaire
- Considérant que l’esprit constitutionnel de l’indépendance des magistrats du siège implique en particulier l’absence de toute pression, menace ou sanction personnelle en lien avec le contenu ou les effets des décisions qu’ils rendent ;
- Considérant qu’en imposant une responsabilité personnelle et pécuniaire au juge fiscal pour avoir déclaré recevable une requête ou statué sur des éléments non préalablement soumis à l’Administration, les dispositions du dernier alinéa de l’article VI-28 constituent une menace directe à l’encontre du juge dans l’exercice de sa fonction ;
Qu’une telle disposition est de nature à porter atteinte à l’indépendance du juge et à compromettre son impartialité ; qu’il appartient aux autorités disciplinaires compétentes de prendre des mesures prévues par les textes en vigueur, à l’encontre des magistrats jugés fautifs dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle ;
Que ces dispositions, en violation manifeste de l’article 108 de la loi fondamentale, doivent être déclarées non conformes à la Constitution et sont à extirper;
Sur l’article 264 bis (nouveau)
- Considérant que l’article 264 bis (nouveau) dispose que « Il est perçu au profit de l’administration des douanes sur les 5% de droits et taxes spéciaux sur les produits miniers (DTSPM) prévus par le Code minier une part contributive à hauteur de 1%.» ;
- Considérant qu’aux termes de l’article 97 de la Constitution, « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décret pris après avis de la Haute Cour Constitutionnelle.
Ceux de ces textes qui interviendraient après l’entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si la Haute Cour Constitutionnelle a déclaré qu’ils ont un caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent. » ;
Qu’à travers cette disposition, le constituant entend préserver le domaine réservé à l’autorité réglementaire contre l’incursion que le législateur pourrait faire en admettant la possibilité pour la première de modifier par voie de décret les dispositions législatives déclarées comme revêtant un caractère réglementaire ;
- Considérant que dans son article 90, la Constitution place dans le domaine de la loi de finances le soin de déterminer dans leur principe, la proportion des recettes publiques devant revenir à l’Etat, aux Collectivités territoriales décentralisées et la nature et le taux maximum des impôts et taxes perçus directement au profit du budget desdites collectivités ;
- Considérant que s’il appartient au législateur, tel qu’il l’a fait dans l’article 291 du Code minier, de déterminer la nature du prélèvement dont les personnes publiques peuvent bénéficier, les modalités d’application et les taux de répartition aux organismes bénéficiaires relèvent de la compétence du Gouvernement ;
- Considérant que dans le cas d’espèce, le fait pour le législateur d’opérer dans l’article 264 bis (nouveau) sus cité la répartition au profit de l’administration des douanes avec un taux précis, amène le législateur à violer la summa divisio posée par l’article 97 de la Constitution ci-dessus rappelé ;
Qu’il en résulte que la disposition de l’article 264 bis (nouveau) possède un caractère réglementaire en application du dernier alinéa de l’article 97 de la Constitution;
Sur les articles 19 et 20 de la loi déférée
- Considérant que l’article 90 de la Constitution dispose que : « Dans le cadre de la loi organique applicable en la matière, la loi de finances :
1° détermine les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.
2° détermine, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte compte tenu des contraintes d’ordre macroéconomique ;
3° détermine la proportion des recettes publiques devant revenir à l’Etat, aux Collectivités Territoriales Décentralisées ainsi que la nature et le taux maximum des impôts et taxes perçus directement au profit du budget desdites Collectivités, déterminées en Conseil des Ministres.
La loi organique détermine les modalités d’application des dispositions du présent article, ainsi que les dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les Collectivités Territoriales Décentralisées.
La loi précise les conditions des emprunts et décide de la création éventuelle de fonds.
La loi détermine :
– Les modalités d’utilisation des fonds d’emprunts extérieurs et de contrôle parlementaire et juridictionnel ;
– Le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des autorités financières auteurs de détournement des fonds d’emprunt ainsi que celui du désengagement de responsabilité de l’Etat. » ;
- Considérant que selon l’article 19 de la loi déférée, « La responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public ne saurait être engagée à raison des débits automatiques effectués sur le compte du Trésor public ouvert dans les livres de la Banky Foiben’i Madagasikara, lorsqu’ils résultent de l’application des dispositions prévues par statut de ladite institution, ou par des conventions spécifiques établies entre l’Etat et cette dernière, ou par tout autre texte légal ou réglementaire spécifique. » ; que d’après l’article 20, « Les agents du Trésor public, s’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent faire l’objet d’enquête ou d’instruction que sur autorisation du Ministre chargé du Trésor public, après avis conforme émis par un comité technique placé sous l’égide du Directeur Général du Trésor, sauf cas de flagrant délit ou de déficit de caisse engageant leurs propres responsabilités.» ;
- Considérant que l’article 19 sus cité concerne le régime de responsabilité des comptables publics en encadrant une exonération légale et l’article 20 prévoit une procédure exceptionnelle dans la poursuite des infractions ; que le régime de la responsabilité des comptables publics relève actuellement de l’ordonnance n°62-081 du 29 novembre 1962 complétée par l’ordonnance n°73-020 du 24 mai 1973, et n’entre pas dans la catégorie des matières objet de la loi de finances tel qu’ils sont énumérés par l’article 90 de la Constitution ; que les articles 19 et 20 de la loi déférée n’ont, par conséquent, aucun lien direct avec la loi de finances pour 2026 et doivent être considérés comme étant des articles fantômes équivalant à des cavaliers législatifs ;
Que de tout ce qui précède, il convient de les déclarer non conformes à la Constitution et de les extirper ;
- Considérant de tout ce qui précède que les autres dispositions de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour 2026 ne sont pas contraires à la Constitution ;
EN CONSEQUENCE,
DECIDE
Article premier. – La saisine du Président de la Refondation de la République est déclarée recevable.
Article 2– Le dernier alinéa de l’article VI-28 de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour 2026 est déclaré non conforme à la Constitution et doit être extirpé.
Article 3.- L’article 264 bis (nouveau) de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour 2026 a un caractère réglementaire.
Article 4.- Les articles 19 et 20 de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour 2026 sont déclarés non conformes à la Constitution et doivent être extirpés.
Article 5.–Les autres dispositions de la loi n°2025-021 portant loi de finances pour 2026 sont conformes à la Constitution.
Article 6.– La présente Décision sera notifiée au Président de la Refondation de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat ad intérim et publiée au Journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi dix-huit décembre l’an deux mille vingt-cinq à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller ;
Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.
