La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la Délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour constitutionnelle modifiée et complétée par la Délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 2021 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que par lettre n° 005-PRM/SGP/SGA/DEJ/2022 du 12 janvier 2022, le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, a saisi la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité, préalablement avant sa promulgation, de la loi n° 2021-028 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique ;

2.Considérant que l’article 116.1 de la Constitution, dispose que« la Haute Cour Constitutionnelle statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes »; que selon les dispositions de l’article 117 de la Constitution, énoncent que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution.» ;

3.Considérant que la loi n°2021-0028 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat lors de leurs séances respectives en date du 30 juin 2021 et du 17 décembre 2021 ;

4.Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;

AU FOND

5.Considérant que la loi déférée a pour objet « de fixer l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique. » ;

6.Considérant que, selon l’article 95 I point 14 de la Constitution, le statut et le régime d’autonomie des Universités, ainsi que le statut des enseignants de l’enseignement supérieur relèvent du domaine de la loi ; que de ce fait, la loi déférée doit se limiter uniquement sur l’autonomie des universités ;

7.Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 97 de la loi fondamentale : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. […] » ; que le statut et le régime « des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique », non prévus par la loi fondamentale, doivent relever du domaine règlementaire ;

Sur les dispositions des articles 02, 20 et 21.

8.Considérant que dans l’exercice de l’élaboration et de rédaction de la loi, le législateur demeure soumis à l’exigence de précision et de clarté dans les vocabulaires et les expressions qu’il utilise, et que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi lui impose d’édicter des normes cohérentes, suffisamment précises afin de prémunir les sujets de droit contre les applications contraires à la Constitution ;

9.Considérant que l’article 2 de la loi déférée dispose que « Les UEPESRS sont dotés de personnalité morale, jouissant d’autonomie pédagogique, scientifiques, administrative et financière.

Les UEPESRS sont des établissements publics à caractères scientifique, technique, culturel et professionnel dérogeant au régime juridique des établissements publics à caractère administratif, prévu par la législation en vigueur » ;

10.Considérant que selon les dispositions de l’article 20 de la loi déférée :« L’Etat garantit la franchise et la liberté universitaire.

L’Etat octroie des moyens nécessaires et adéquats pour le bon fonctionnement et la protection des biens des UEPERSRS prévus par la présente loi, dans le cadre de leurs activités d’enseignement et de recherche.

A l’égard des Enseignants-chercheurs et Chercheurs-enseignants, les UEPESRS doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche scientifique dans les conditions d’indépendance et dans un environnement propice à la réflexion et à la création intellectuelle » ;

11.Considérant que l’article 21 de la loi déférée dispose que : « Le Président de l’Université est investi d’un pouvoir de police administrative spéciale, la présente loi lui attribue la compétence extraordinaire et exclusive de maintien de l’ordre public dans l’enceinte pédagogique et les locaux de l’Université. » ; 

12.Considérant qu’en omettant de définir d’une manière précise, claire et cohérente les termes : université, établissement public d’enseignement supérieur et de recherche scientifique, franchise et liberté universitaires, pouvoir de police administrative spéciale et compétence extraordinaire et exclusive de maintien de l’ordre public, dans les dispositions des articles 2, 20 et 21 de la loi déférée, le législateur va à l’encontre de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et de clarté de la loi, empêcherait une bonne application de la loi et ne permet pas à la Cour de céans d’exercer son contrôle de constitutionnalité ; que les dispositions des articles 2, 20 et 21 de la loi soumise à contrôle ne sont pas conformes à la Constitution ;

Sur les dispositions de l’article 12

13.Considérant que selon les dispositions de l’article 6 de la Constitution : « La loi est l’expression de la volonté générale. Elle est la même pour tous, qu’elle protège, qu’elle oblige ou qu’elle punisse.

Tous les individus sont égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans discrimination fondée sur le sexe, sur le degré d’instruction, la fortune, l’origine, la croyance religieuse ou l’opinion.[…] » ;que l’article 12 de la loi déférée dispose que : « L’Etat assure la garantie des libertés universités, définies par des textes réglementaires, académiques et scientifiques à tous les enseignants et chercheurs des UEPESRS dans le cadre de leurs activités d’enseignement et de recherche :

– les enseignants et chercheurs ne peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires en raison des enseignements qu’ils dispensent, des recherches qu’ils effectuent ou qu’ils publient dans le respect de l’éthique et de la déontologie ;[…] » ;

14.Considérant que la Constitution garantit les droits individuels et les libertés fondamentales ;que l’exercice des fonctions des Enseignants-Chercheurs doit être protégé par l’Etat ; qu’en revanche, les Enseignants-Chercheurs ne pouvant faire l’objet de poursuites judiciaires,va à l’encontre de l’esprit de l’article 6 de la loi fondamentale en ce que la loi doit être la même pour tous ; qu’étant donné que l’immunité juridictionnelle constitue une dérogation au principe d’égalité de tous devant la loi, elle doit être prévue par une disposition constitutionnelle ; que les dispositions de l’article 12 ne sont pas conformes à la Constitution ;

Sur les dispositions de l’article 17

15.Considérant que la loi soumise à l’examen de la Haute Cour Constitutionnelle, dispose en son article 17 que « Les UEPRESRS dérogent aux principes d’unicité de caisse et d’universalité.

Les Présidents des Universités, les Directeurs Généraux des Instituts Supérieurs de Technologies, le Directeur National du CNTEMAD, les Directeurs Généraux ou Directeurs des CNR peuvent ouvrir auprès des banques primaires des comptes de dépôts de fonds au nom des UEPESRS correspondant à la gestion et à l’exécution de leurs ressources.

Ces comptes bancaires de dépôts peuvent comprendre des sous comptes ouverts au nom de chaque composante des UEPESRS dont les signataires sont fixés par voie réglementaire.

Les responsables des différentes composantes des UEPESRS prévues aux articles 3 et 4 ci-dessus gèrent leurs fonds propres et sont autorisés à subdiviser les sous comptes bancaires en d’autres sous comptes correspondant à des rubriques spécifiques à leurs fonctionnements.

Il est nommé un agent comptable ayant statut de comptable public qui assure les fonctions de comptable principal de chaque élément des UEPESRS concernant les subventions allouées par l’Etat fixées par l’article 16 de la présente loi à l’exception des crédits de fonctionnement.

L’Agent comptable peut, sous sa responsabilité se faire suppléer par un ou plusieurs mandataires, des comptables secondaires, soit à titre permanent lorsque l’importance du service le justifie, soit à titre temporaire pour cause d’absence.

L’Agent comptable est nommé par Arrêté du Ministre chargé de la Comptabilité Publique. » ;

16.Considérant que les grands principes budgétaires à valeur constitutionnelle,  sont universels et  s’imposent à toute gestion budgétaire ;qu’en accordant l’autonomie administrative et financière aux universités, le constituant n’entend pas pour autant les soustraire du régime de tous les principes budgétaires ; qu’en voulant déroger aux principes d’unicité de caisse et d’universalité dans les dispositions de l’article 17 de la loi déférée, le législateur va à l’encontre des principes à valeur constitutionnelle ;

17. Considérant qu’un autre principe fondamental dans la gestion des finances publiques est que le comptable public est responsable personnel et pécuniaire de sa gestion; que se faire suppléer à titre permanent est contraire à cette notion de responsabilité; que les dispositions de l’article 17 de la loi déférée ne sont pas conformes à la Constitution ;

Sur les dispositions de l’article 21

18.Considérant que selon les dispositions de l’article 65 de la Constitution : « Le Premier Ministre, Chef du Gouvernement. […] 9° assure la sécurité, la paix et la stabilité sur toute l’étendue du territoire national dans le respect de l’ordre, de la sécurité intérieure et de la défense » ;que l’article 21 de la loi déférée dispose que : « Le Président de l’Université est investi d’un pouvoir de police administrative spéciale, la présente loi lui attribue la compétence extraordinaire et exclusive de maintien de l’ordre public dans l’enceinte pédagogique et les locaux de l’Université. » ;

19.Considérant que l’attribution d’un pouvoir extraordinaire et exclusif en matière de maintien de l’ordre public au Président de l’Université, viole les dispositions de l’article 65 de la Constitution confiant ces attributions au Premier Ministre ; que les dispositions de l’article 21 de la loi déférée sont donc contraires à la Constitution ;

20.Considérant que, de tout ce qui précède, les articles 2, 12, 17, 20 et 21 de la loi n° 2021-028 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique ne sont pas conformes à la Constitution ; que dans la mesure où ces articles constituent l’essence même du texte, et qu’ils sont inséparables de l’ensemble de la loi, il convient de déclarer la loin° 2021-028 non conforme à la Constitution, et qu’elle ne peut faire l’objet d’une promulgation ;

EN CONSEQUENCE,

DECIDE :

 

Article premierLa saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.

Article 2– Les dispositions relatives aux Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique relèvent du domaine règlementaire.

Article 3– La loi n° 2021-028 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique n’est pas conforme à la Constitution et ne peut être promulguée.

Article 4La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat, et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue par visioconférence à Antananarivo, le mercredi neuf février l’an deux mille vingt-et-deux à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président

Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen

Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller

Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller

Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller

Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller

Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller

Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller

Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assisté de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.