La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la Résolution n°01-2019/R du 19 août 2019 portant Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie, par lettre n°PR/Cab/01-2023/HCDDED du 27 février2023 du Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit, enregistrée au greffe de la Cour de céans le 28 février 2023, en référence aux dispositions de l’article 118 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de la déclaration (Fanambarana)n° 312-AN/P/2022 du 8 décembre 2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et de la déclaration des membres du Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale (Fanambarana avy amin’ny mpikambana ao amin’ny Birao maharitry ny Antenimieram-pirenena) du 8 décembre 2022 et pour faire constater le non-respect par le Président de la République des dispositions de l’article 49alinéa 1er de la Constitution et de demander l’application de l’alinéa 2 dudit article ;

Sur la recevabilité du contrôle de constitutionnalité de la déclaration n°312-AN/P/2022 du 8 décembre2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et de la déclaration des membres du Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale (Fanambarana avy amin’ny mpikambana avy amin’ny Birao maharitry ny Antenimieram-pirenena) du 8 décembre2022

2.Considérant que selon l’article 116-1 de la Constitution, « Outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle, dans les conditions fixées par une loi organique : statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, et des règlements autonomes » ;

3.Considérant que l’article 118 de la Constitution dispose que « Un Chef d’Institution (…) ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit peuvent déférer à la Haute Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou règlementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence » ; 

4. Considérant que 23 députés , ne pouvant pas constituer le quorum requis pour saisir directement la Cour de céans, ont demandé au HCDDED de porter devant la Haute Cour Constitutionnelle la déclaration de la Présidente de l’Assemblée Nationale sus-mentionnée ainsi que la déclaration de sept membres du Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale toutes en date du 8 décembre 2022 ; qu’ils précisent « que bien que ces déclarations ne soient pas des textes « à valeur législative ni règlementaire » mais par les effets juridiques qui en ont procédé, elles ne constituent pas moins des textes à contenu normatif et sont en violation des dispositions constitutionnelles » ; que le HCDDED, ayant reçu la demande, a retenu sa compétence et a saisi la Haute Cour Constitutionnelle ;

5. Considérant que la requête introduite par le HCDDED vise à contrôler la constitutionnalité de la déclaration n°312-AN/P/2022 du 8 décembre2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et celle du Bureau Permanent ;que  les actes déférés à la Cour de céans sont des actes juridiques pris dans le cadre d’une procédure de motion de censure contre le Gouvernement initiée au sein de l’Assemblée Nationale et ce en application de l’article 103 de la Constitution et des articles 195 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ;

6. Considérant d’une part que conformément à l’esprit de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions et de l’activité des pouvoirs publics ; qu’une telle fonction de régulation est établie et reconnue par les Cours constitutionnelles des pays de la zone Afrique entre autres celles membres de la Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines (CJCA), ainsi que les Cours constitutionnelles membres de l’ Association des Cours Constitutionnelles Francophones(ACCF), auxquelles la Haute Cour Constitutionnelle malagasy adhère ; que cette fonction de régulation ne s’exerce pas uniquement en période de crise politique ou institutionnelle mais peut être mise en œuvre à tout moment par la Cour de céans uniquement dans le dessein de consolider l’état de droit et la démocratie qui sont, en vertu de l’article 1er de la Constitution, les fondements de la République ;

7. Considérant  que le constituant de la quatrième République en instaurant un régime d’inspiration parlementaire, et en application des dispositions constitutionnelles sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, a attribué à l’Assemblée Nationale  le droit de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par le biais de la motion de censure, un mécanisme constitutionnel qui rentre dans le cadre du rapport entre le Gouvernement et le Parlement  prévu par l’article 103 de la Constitution ; que ledit article implique qu’une autorité doit apprécier si les conditions sont réunies pour que la motion soit recevable ; que de plus, dans le respect de l’Etat de droit en vertu de l’article 1er de la Constitution et en application du principe de la suprématie constitutionnelle par rapport aux autres textes,  tous les actes pris dans le cadre de l’exercice d’un droit attribué par la Constitution doivent être en conformité avec la loi fondamentale ; qu’il n’est pas inutile de rappeler que la Cour de céans a déjà étendu sa compétence en matière de contrôle de constitutionnalité sur le règlement intérieur du barreau de Madagascar ( décision n°1-HCC-D2 du 16 mai 2007), sur une décision administrative (décision n°001-HCC /D2 du 07 décembre 2006) ou encore un arrêt rendu par la Cour d’Appel (décision n°001-HCC/D2 du 14 février 2001) ;

8. Considérant que la déclarationn°312-AN/P/2022 du 8 décembre 2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale ainsi que celle du bureau permanent ont déclaré la motion de censure irrecevable aux motifs que les conditions de forme ne sont pas remplies ; que les actes juridiques pris par la Présidente de l’Assemblée Nationale et le bureau permanent dans le cadre de la motion de censure font partie intégrante du fonctionnement de l’Assemblée Nationale dans le cadre de la procédure de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 103 de la Constitution et des articles195 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ; qu’ils font alors partie des autres matières relevant de la compétence de la Cour de céans au sens de l’article 118 sus-cité ;

9. Considérant par conséquent, que la saisine effectuée par le HCDDED aux fins de contrôle de constitutionnalité de la déclaration (fanambarana) n°312-AN/P/2022 du 08 décembre 2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et de la déclaration des membres du Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale (fanambarana avy amin’ny mpikambana ao amin’ny Birao Maharitry ny Antenimieram-pirenena) du 08 décembre 2022 est ainsi régulière et recevable ;

Sur la recevabilité de la demande de constatation de la violation de l’article 49 alinéa 1er de la Constitution et l’application de l’alinéa 2 dudit article

10. Considérant, d’autre part, que le HCDDED demande à la Haute Cour Constitutionnelle de constater le non-respect par le Président de la République des dispositions de l’article 49 alinéa 1er de la Constitution et l’application de l’ alinéa 2 dudit article ; 

11. Considérant que l’article 49 de la Constitution dispose que « Les fonctions de Président de la République sont incompatibles avec toute fonction publique élective, toute autre activité professionnelle, toute activité au sein d’un parti politique, d’un groupement politique, ou d’une association, et de l’exercice de responsabilité au sein d’une institution religieuse. Toute violation des dispositions du présent article, constatée par la Haute Cour Constitutionnelle, constitue un motif d’empêchement définitif du Président de la République » ;

12. Considérant que le principe de l’équilibre des pouvoirs consacré par le Préambule de la Constitution implique l’existence de moyens d’action réciproques entre les différents pouvoirs consacrés par la Constitution ; que le Président de la République dispose du  droit de dissolution de l’Assemblée Nationale(article 60) ; que l’Assemblée Nationale peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement dans le cadre de la motion de censure (article 103 ) , ou encore  mettre en accusation le Président de la République (article 131) ou saisir la Cour de céans pour déclarer l’empêchement temporaire pouvant aboutir à l’empêchement définitif de ce dernier et ce, sur saisine des deux chambres du Parlement (articles 50 et 51) ; qu’il ressort de l’esprit de la Constitution que l’empêchement définitif constitue une sanction politique en cas de manquement par le Président de la République à  ses obligations ; que le constituant a  confié aux représentants du peuple élus au suffrage universel direct ou indirect le droit de déclencher les mécanismes constitutionnels garantissant l’équilibre des pouvoirs ; 

13. Considérant par conséquent que l’empêchement définitif, s’agissant d’une sanction contre le Président de la République en cas de violation de ses obligations prévues par l’article 49 de  la Constitution, ne peut ainsi être initié que par le vote du Parlement, composé de représentants du peuple élus au suffrage universel direct ou indirect , par analogie à la procédure d’empêchement  prévue par les articles 50et 51 de la Constitution; qu’il est conforme à l’esprit de la Constitution et dans le respect de la démocratie et de la souveraineté populaire, de laisser à des élus de sanctionner un autre élu en cas de manquement de celui-ci à ses devoirs ; qu’en conséquence, la saisine du HCDDED de la Cour de céans pour demander de constater la violation de l’article 49 de la loi fondamentale parle Président de la République et son empêchement définitif est irrecevable;

AU FOND

14. Considérant que par l’article 103 de la loi fondamentale, le constituant prévoit que « l’Assemblée Nationale peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par la moitié des membres composant l’Assemblée Nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après le dépôt de la motion. La motion n’est adoptée que si elle est votée par les deux tiers des membres composant l’Assemblée Nationale… » ;

15. Considérant par ailleurs, que l’article 195 de la Résolutionn°01-2019/R du 19 août 2019 portant Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale prévoit l’application des dispositions constitutionnelles concernant la motion de censure ; « que le dépôt d’une motion de censure … est constaté par la remise au Président de l’Assemblée Nationale d’un document intitulé « motion de censure » accompagné de la liste des signatures de la moitié des membres composant l’Assemblée Nationale… » ;

16. Considérant  que l’article 103 de la Constitution mentionne comme unique condition de  recevabilité de la motion de censure, la signature par la moitié des membres composant l’Assemblée Nationale ; que la recevabilité de la motion est subordonnée à l’existence d’une autorité qui est tenue de vérifier  le nombre de signatures et surtout leurs authenticités ; qu’à la lecture de l’article195 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, cette obligation de vérification incombe au Président de l’Assemblée Nationale; que la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement exige que les signataires soient clairement identifiables ; que dans le cas d’espèce, la Présidente de l’Assemblée Nationale, à la suite de ladite vérification, a estimé que les conditions de recevabilité de la motion de censure ne sont pas remplies, ce qui a été confirmé par le bureau permanent suivant déclaration du 08 décembre2022 ;

17. Considérant enfin, qu’il est important de souligner que dans un régime d’inspiration parlementaire, le fonctionnement d’une assemblée parlementaire est indissociable de l’existence d’une majorité qualifiée, de fait et de droit issue des élections,  dont les droits et les obligations sont encadrés par les articles 54 et 72 de la Constitution ; qu’il serait impossible de s’opposer à la réalité d’un rapport de force politique ouvertement assumé si tel était le cas ;  que la saisine  effectuée par le HCDDED de la Cour de céans sur la base d’une requête présentée uniquement  par 23 députés traduit la réalité de ce rapport de force politique ;

18. Considérant par conséquent, que la déclaration (fanambarana)n°312-AN/P/2022 du 08 décembre 2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et la déclaration des membres du Bureau Permanent de l’Assemblée Nationale (fanambarana avy amin’ny mpikambana ao amin’ny Birao Maharitry ny Antenimieram-pirenena) du 08 décembre 2022 ne méconnaissent aucune disposition constitutionnelle et doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

EN CONSEQUENCE
D E C I D E :

Article premier. – La demande du Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit en ce qui concerne la constatation de la violation de l’article 49 alinéa 1er de la Constitution et en application de l’alinéa 2 dudit article tendant à l’empêchement définitif du Président de la République est irrecevable.

Article 2.- La demande du Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des déclarations de la Présidente de l’Assemblée Nationale et des membres du Bureau Permanent est régulière et recevable.

Article 3.– La déclaration (fanambarana)n°312-AN/P/2022 du 08 décembre 2022 de la Présidente de l’Assemblée Nationale et le « fanambarana » du Bureau Permanent du 08 décembre 2022 sont conformes à la Constitution.

Article 4.– La présente Décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat ainsi qu’au Président du HCDDED et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi dix mars deux mille vingt-trois à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président

Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen,

Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller,

Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller

Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller

Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller

Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller

Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Haut Conseiller

Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller 

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.