La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi organique n°2015-007 du 3 mars 2015 fixant les règles relatives au fonctionnement du Sénat ainsi qu’aux modalités d’élection et de désignation des Sénateurs de Madagascar ;

Vu l’arrêté n°01/2021- SENAT/P du 19 Janvier 2021 modifiant et complétant l’arrêté n° 001 bis 2016-SENAT/P du 24 février 2016 portant règlement intérieur du Sénat ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

1.Considérant que suivant requête en date du 17 octobre 2023 enregistrée au greffe de la Cour de céans le 18 octobre 2023, Monsieur RAZAFIMAHEFA Herimanana, Sénateur de Madagascar saisit la Haute Cour Constitutionnelle en vertu de l’article 118 de la Constitution  aux fins de contrôle de constitutionnalité des procès-verbaux de votes relatifs à sa destitution et à l’élection du Sénateur Richard RAVALOMANANA comme Président du Sénat qui se sont déroulés respectivement le jeudi 12 octobre et le vendredi 13 octobre 2023 au  Palais du Sénat, Anosy ;

Des moyens et des prétentions

2.Considérant que le requérant fait savoir que  dans le respect de l’Etat de droit de la République de Madagascar et en vertu des dispositions de l’article 118 de la Constitution notamment en ses alinéas 1,4 et 5 aux termes desquels : « Un Chef d’institution ou le quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou les organes des Collectivités Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de droit peuvent déférer à la Cour Constitutionnelle pour contrôle de constitutionalité tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence. (. . .) Une disposition inconstitutionnelle cesse de plein droit d’être en vigueur. » ; 

Que la saisine est dès lors recevable.

Que le 11 octobre 2023, le Gouvernement collégial a pris le décret n°2023-1390 portant convocation du Sénat en session extraordinaire ; que l’article 3 dudit décret précise que l’ordre du jour porte sur « La réorganisation du Bureau Permanent du Sénat » ;

Qu’en vertu de ladite convocation, le Sénat s’est réuni le jeudi 12 octobre 2023 en session extraordinaire portant l’ordre du jour « la réorganisation du Bureau Permanent du Sénat » ;

Qu’aux termes de l’article 47 de la loi organique n°2015-007 du 3 mars 2015 fixant les règles relatives au fonctionnement du Sénat ainsi qu’aux modalités d’élection et de désignation des Sénateurs de Madagascar : « Le Président du Sénat est le chef de l’administration de cette Institution, assisté des Vices -présidents qui le suppléent en tant que de besoin, ainsi que les questeurs et les rapporteurs généraux, il assure la direction du Sénat et son administration générale. » ;

Que vers 11 h 30 minutes, le Président du Sénat, Monsieur Herimanana RAZAFIMAHEFA est entré dans la salle plénière, a sonné la cloche et a déclaré l’ouverture de la session extraordinaire en se référant aux dispositions de l’article 3 du décret n°2023-1390 du 11 octobre 2023 ;

Qu’il s’est adressé aux Sénateurs en rappelant leur affirmation non fondée en l’accusant de déséquilibre mental suite à son interview à la chaîne télévisée France 24 ; que cette soi-disant défaillance mentale était la raison évoquée par les Sénateurs dans leur requête adressée au Gouvernement de convoquer une session extraordinaire ; que pour contredire les allégations des Sénateurs, il a exhibé des certificats médicaux qui démontrent qu’il est en bonne santé physiquement et mentalement ; qu’après les observations et débats des Sénateurs, le Président du Sénat a sonné la cloche qui signe que la session extraordinaire est clôturée ;

Que malgré la clôture de la session extraordinaire après le son de cloche, les sénateurs continuaient à se réunir de manière non règlementaire sous la présidence de l’un des deux vice-présidents, en l’occurrence le Sénateur Nicolas RABEMANANJARA qui s’est octroyé le droit de mettre l’écharpe du nouveau Sénateur Monsieur Richard RAVALOMANANA alors même que le Président du Sénat ne lui a accordé aucun mandat y afférent en tant que Chef d’lnstitution ; qu’en outre, ils ont procédé au vote de destitution du Président de Sénat Monsieur Herimanana RAZAFIMAHEFA, en enchaînant à l’élection du nouveau Président du Sénat en la personne de Richard RAVALOMANANA ;

Que la destitution et l’élection se sont déroulées après la clôture de la session extraordinaire déclarée publiquement par le Président du Sénat Herimanana RAZAFIMAHEFA ;

Que le Président du Sénat, en tant que Chef d’Institution, est la seule personne qui a la qualité pour ouvrir et clôturer une session du Sénat, qu’elle soit ordinaire ou extraordinaire ; qu’un Vice-président ne peut présider une session ou une séance plénière sans autorisation du Président du Sénat ;

Que la session extraordinaire a déjà été déclarée close par le Président du Sénat Herimanana RAZAFIMAHEFA et qu’il a déjà quitté la salle plénière, les Sénateurs ont encore continué la réunion. En effet, les décisions prises après la clôture sont informelles et n’ont aucune valeur juridique ;

Que le vote de destitution du Président du Sénat Herimanana RAZAFIMAHEFA et l’élection du Président du Sénat Richard RAVALOMANANA violent les dispositions légales ;

Que par ailleurs, aux termes de l’article 74 de la Constitution : « Le Président de l’Assemblée Nationale et les membres du Bureau sont élus au début de la première session pour la durée de la législature. Toutefois, ils peuvent être démis de leurs fonctions respectives de membres de Bureau pour motif grave par un vote secret des deux tiers des députés » ; qu’aux termes de l’article 24 de la loi organique n°2015-007 du 3 mars 2015 :« Le Bureau permanent est composé du Président du Sénat, des Vice-présidents , des Questeurs , des Rapporteurs généraux dont le nombre est fixé par le Règlement Intérieur. Ils sont élus au début de la première session pour la durée de la législature. Toutefois, ils peuvent être remplacés pour des motifs graves par un vote secret des deux tiers des sénateurs » ; qu’aux termes de l’article 85 de la Constitution : « Les dispositions des articles 71 à 79 sont applicables, par analogie, au Sénat. » ;

Que le motif évoqué par les Sénateurs, pour destituer le Président du Sénat Herimanana RAZAFIMAHEFA, résulte de son interview à la chaîne télévisée France 24, et ils le qualifient « atteint d’un déséquilibre mental » ;

Qu’il s’agit d’une accusation sans fondement scientifique, aucun rapport d’expertise médicale présenté par les sénateurs démontre que le Président du Sénat est atteint d’un trouble mental ou d’incapacité mentale pour diriger le Sénat, qu’une telle approche doit être justifiée par un acte médical émanant d’un professeur ou médecin spécialiste, surtout lorsque cela concerne un Chef d ‘Institution ; que la manœuvre frauduleuse des Sénateurs pour violer manifestement la Constitution tient du fait qu’ils occultent l’article 74 de la Constitution ;

Qu’aux termes de l’article 84 de la Constitution :« Le Sénat se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires par an. La durée de chaque session est fixée à soixante jours. La première session commence le premier mardi de mai et la seconde, consacrée principalement à l’adoption de la loi de finances, le troisième mardi d’octobre. Il peut être également réuni en session spéciale sur convocation du Gouvernement. Son ordre du jour est alors limitativement fixé par le décret de convocation pris en Conseil des Ministres. Lorsque l’Assemblée nationale ne siège pas, le Sénat ne peut discuter que des questions dont le Gouvernement l’a saisi pour avis, à l’exclusion de tout projet législatif. » ; que cet article 84 précise que lorsque l’Assemblée Nationale ne siège pas, le Sénat n’intervient que dans le cadre de sa compétence consultative ;

Qu’une réunion informelle dirigée par un Vice-président, qui n’a aucun pouvoir de délégation du Président du Sénat, est inconstitutionnelle. Par conséquent, le procès-verbal relatif à cette réunion est inconstitutionnel ;

En la forme

3.Considérant que l’article 118 de la Constitution dispose que : « Un Chef d’Institution ou le quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou les organes des Collectivités Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit peuvent déférer à la Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence. » ;

4.Considérant que le Sénat en tant qu’assemblée parlementaire dispose de l’autonomie dans ses prises de décisions et  dans son fonctionnement ; que le principe universel  qui régit les assemblées parlementaires  est la prise de décision à la majorité de ses membres ; que l’article 74 de la Constitution en son alinéa 2, applicable par analogie au Sénat, dispose que : « Toutefois, ils (le Président et les membres du bureau permanent) peuvent être démis de leurs fonctions respectives de membres de Bureau pour motif grave par un vote secret des deux tiers des députés. » ; que l’article 76 de la Constitution, applicable au Sénat tel qu’il ressort de l’article 85 de la Constitution, prévoit que « la session extraordinaire est clôturée par un décret lorsque l’ordre du jour est épuisé » ;

5.Considérant que dans le cas d’espèce, l’ordre du jour fixé était « le renouvellement partiel du bureau permanent du Sénat » ; que  cependant suivant procès-verbal n°PVA-EX-OR1-001-10-23-V en date du 12 octobre 2023, il apparaît que le Président du Sénat Herimanana RAZAFIMAHEFA a déclaré la session close sans avoir consulté l’assemblée sur le sort de la « proposition de résolution »; que face à cette situation,  15 sénateurs ont constaté que l’ordre du jour fixé par le décret de convocation n’était pas encore épuisé; que par conséquent quinze sénateurs composant plus de deux tiers des membres du Sénat ont voté pour continuer la session et que celle-ci serait présidée par le Vice-Président en l’absence du Président du Sénat en exercice ; que c’est à la suite de cette décision que le vote de destitution du Président du Sénat a eu lieu le 12 octobre 2023, et que le 13 octobre 2023  l’élection du Sénateur RAVALOMANANA Richard en tant que Président du Sénat a été faite ; que toutes les décisions ont été prises à la majorité des deux tiers des membres composant le Sénat ;

6.Considérant  en outre qu’il s’agit d’une affaire interne du Sénat et qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, il appartient au Sénat d’apprécier le bien-fondé du motif invoqué dans la résolution  qui est  l’existence de « comportements et attitudes anormaux  et incohérents, des agissements inconcevables pour une personnalité à la tête d’une institution de la République » ainsi que de la  « déclaration faite au nom du Sénat qui jette le discrédit sur ladite institution  et (…) n’ayant pas fait l’objet de concertation avec les Sénateurs » ; qu’il s’agit de motifs politiques ayant trait au fonctionnement interne et à l’image du Sénat et non à la santé mentale de Monsieur Herimanana RAZAFIMAHEFA ;

7.Considérant  dès lors que le Sénateur Herimanana RAZAFIMAHEFA a perdu sa qualité de chef d’institution lors du vote de destitution ; que de tout ce qui précède, la saisine effectuée par le Sénateur Herimanana RAZAFIMAHEFA déposée à la Cour de céans ultérieurement aux fins de contrôle de constitutionnalité des procès-verbaux de votes relatifs à sa destitution et à l’élection du Sénateur Richard RAVALOMANANA comme Président du Sénat qui se sont déroulés respectivement le jeudi 12 octobre et le vendredi 13 octobre 2023 en vertu de l’article 118 de la Constitution est irrecevable ;

EN CONSEQUENCE
DECIDE

Article premier.- La saisine effectuée par Monsieur Herimanana RAZAFIMAHEFA, Sénateur de Madagascar aux fins de contrôle de constitutionnalité des procès-verbaux de votes relatifs à sa destitution et à l’élection du Sénateur Richard RAVALOMANANA comme Président du Sénat qui se sont déroulés respectivement le jeudi 12 octobre et le vendredi 13 octobre 2023 en vertu de l’article 118 de la Constitution est irrecevable.

Article 2. La présente décision sera notifiée au Gouvernement Collégial exerçant les fonctions du Chef de l’Etat par intérim, au Premier Ministre Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat, au requérant et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi vingt-sept octobre l’an deux mille vingt-trois à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia,Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller ;

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.