La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à La Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant règlement intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle modifiée et complétée par la délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 2021 ;

Vu la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989

Vu le Code pénal malagasy ;

Vu la loi n°2008-008 du 25 Juin 2008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou corporel ;

Vu la loi déférée ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que par lettre n°032/PRM/SGP/SGA/DEJ/2024 du 13 février 2024, reçue et enregistrée le même jour au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle , le Président de la République conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, a saisi la Haute Cour de céans aux fins de contrôle de constitutionnalité préalablement à sa promulgation, de la loi n°2024-001 modifiant et complétant certaines dispositions du Code pénal malagasy ;

2.Considérant que l’article 116 alinéa premier de la Constitution dispose que « La Haute Cour Constitutionnelle statue sur la Conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, et des règlements autonomes. » ; que les dispositions de l’article 117 de la Constitution énoncent que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. » ;

3.Considérant que la loi n°2024-001 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances plénières tenues respectivement le 02 février 2024 et le 06 février 2024 ;

4.Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;

AU FOND

5.Considérant que la loi déférée a pour objet de modifier certains articles du Code pénal notamment ceux portant sur la prévention et la répression du viol ; que la réforme vise un effet dissuasif de la répression, la prévention de la récidive et la neutralisation des prédateurs sexuels en les soumettant à la peine de castration ;

Concernant la peine de castration prévue par les articles 2, 3 et 5 de la loi déférée


6.Considérant que l’article 2 de la loi déférée modifiant l’article 7 du Code pénal a ajouté la castration parmi les peines afflictives et infamantes ; que l’article 3 modifiant et complétant l’article 316 du Code pénal énonce que « toute personne coupable du crime de castration subira la peine de travaux forcés à perpétuité sauf dans le cas de l’exécution de la peine de castration prévue par le présent code» ;que l’article 5 de la loi déférée portant modification de l’article 332 bis du Code pénal est rédigé comme suit :« outre les peines prévues à l’article 332, la castration chimique et chirurgicale sera prononcée à l’encontre des auteurs de viols sur mineurs.

La castration chirurgicale sera toujours prononcée contre les auteurs de viol commis sur un enfant de moins de dix (10) ans accomplis.

La castration chimique ou chirurgicale sera prononcée contre les auteurs de viol commis sur un enfant de plus de dix (10) ans et de moins de treize (13) ans accomplis.

La castration chimique sera prononcée contre les auteurs de viol commis sur un enfant de plus de treize (13) ans et de moins de dix-huit (18) ans accomplis.

Les dispositions du présent article ainsi que celles de l’article 332 ter ne sont pas applicables aux enfants en conflit avec la loi âgés de moins de dix-huit (18) ans au moment de la commission de l’infraction. » ;

7.Considérant que le préambule de la Constitution Malagasy énonce clairement que la législation malagasy a fait sienne la Charte Internationale relative aux droits de l’homme, les Conventions relatives aux droits de l’enfant, aux droits de la femme, à la protection de l’environnement, aux droits sociaux, économiques, politiques, civils et culturels ; que d’ailleurs, l’article 137 alinéa 4 de la Constitution dispose que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (…) » ; que l’article 7 de la Constitution énonce que «Les droits individuels et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution et leur exercice est organisée par la loi. » ; que l’article 95-I-8° de la Constitution ajoute que « Outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution : la loi fixe les règles concernant  la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale et l’amnistie » ;

8.Considérant que dans le cadre du contrôle de la conformité de la loi à la norme constitutionnelle, la Haute Cour Constitutionnelle  exerce également un contrôle de la proportionnalité  qui s’entend comme l’adéquation de la norme législative à l’objectif poursuivi ou comme l’équilibre entre l’atteinte portée à un droit et l’intérêt général ; que ce mécanisme est surtout utilisé dans le cadre de la restriction des libertés publiques ou d’atteinte volontaire par le législateur à certains droits fondamentaux face à l’exigence de l’intérêt général ; que  pour être proportionnée, la loi entraînant la restriction doit satisfaire à une triple exigence : l’adéquation à l’objectif poursuivi , la nécessité  à sa réalisation et la proportionnalité face au résultat recherché ;

9.Considérant d’une part que l’article 8 de la Constitution en son alinéa 2  reprenant les termes de l’article 7 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques et de l’article 5 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948 dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels , inhumains ou dégradants » ; que l’article 2-I-1°-ii de la loi n°2008-008 du 25 Juin 2008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels , inhumains ou  corporels définit la torture comme étant  « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës , physiques  ou morales sont intentionnellement infligées à une personne afin de la punir d’un acte qu’elle a commis ou est soupçonnée d’avoir commis »;

10.Considérant d’autre part que l’article 21 de la Constitution oblige l’Etat à protéger les enfants  en disposant que «  L’Etat assure la protection de la famille pour son libre épanouissement ainsi que celle de la mère et de l’enfant par une législation et des institutions sociales appropriées. »; que l’article 34 de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 énonce que : « l’Etat doit protéger l’enfant contre la violence et l’exploitation sexuelles, y compris la prostitution et la participation à toute production pornographique. » ;  que de ce fait, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe à valeur constitutionnelle au même titre que les autres droits et libertés fondamentaux ; que la réforme du Code pénal apportée par la loi déférée consiste à adopter une législation spécifique respectueuse de l’identité de la société malagasy qui qualifie la violence sexuelle sur les enfants de traitements cruels et inhumains  et ce, en faisant référence au Préambule de la Constitution malagasy;

11.Considérant que la loi soumise au contrôle de de la Haute Cour  a pour objectif de lutter contre les viols sur les mineurs entraînant des dommages physiques et psychologiques irréversibles ; que dans son contrôle , la Haute  Cour de céans est emmenée  à concilier la nécessité exprimée par le législateur de réprimer d’une manière plus sévère le viol sur mineur et l’obligation de  respecter des droits humains tel qu’ils ont été établis dans les différentes conventions internationales ratifiées par Madagascar ;

12.Considérant par ailleurs que l’ objectif poursuivi par le législateur est de neutraliser définitivement les prédateurs sexuels et de diminuer le risque de récidive ; que la castration chimique ayant un caractère temporaire et réversible entre en contradiction avec cet objectif ; que la castration chimique doit par conséquent être remplacée par la castration chirurgicale ; que sous cette réserve, l’article 5 insérant l’article 332 bis alinéas 3 et 4 au Code pénal sera déclaré conforme à la Constitution ;

13.Considérant dès lors que la castration chirurgicale est une opération destinée à supprimer la production des hormones sexuelles secrétées par les ovaires  ou les testicules,  privant ainsi l’individu de sa faculté de se reproduire ainsi que de sa recherche instinctive du plaisir sexuel  ; que médicalement , il peut être procédé à une telle intervention sans pour autant causer « une douleur ou des souffrances aiguës , physiques  ou morales » pour éviter que l’exécution de la peine de castration ne rentre dans la catégorie des actes de torture et de traitement inhumain et cruel au sens de l’article 2 de la loi n°2008-008 du 25 Juin 2008  ; que pour ce faire et en application de l’article 9 alinéa 2 de la loi déférée, le Gouvernement est tenu de préciser, par voie règlementaire,  les modalités de l’opération chirurgicale tenant compte de l’obligation de respect des droits humains; que les articles 2, 3 et 5 de la loi déférée sont conformes à la Constitution sous réserve de la publication d’un texte règlementaire précisant les modalités d’exécution de la peine de castration chirurgicale ;

14.Considérant, de tout ce qui précède, que l’article 2 modifiant et complétant l’article 7 du Code pénal, l’article 3 modifiant et complétant l’article 316 du Code pénal et l’article 5 insérant l’article 332 bis au Code pénal sont déclarés conformes à la Constitution sous réserve des considérants 12 et 13 ;

Sur l’article 6 insérant un article 332 Ter au Code pénal portant sur la présentation des personnes appréhendées pour viol

15.Considérant que l’article 6 de la loi déférée apporte un article 332 Ter au Code pénal qui est rédigé comme suit « Sous la supervision du Procureur de la République territorialement compétent, la Police Judiciaire présente publiquement les personnes appréhendées dans les cas de viol prévus par l’article 332 et ce, sans préjudice de la présomption d’innocence ni du respect des droits de la défense » ;

16.Considérant que l’article 13 alinéas 6, 7, 8 et 9 de la Constitution dispose que « L’Etat garantit la plénitude et l’inviolabilité des droits de la défense devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure, y compris celui de l’enquête préliminaire, au niveau de la police judiciaire ou du parquet. Toute pression morale et/ou toute brutalité physique pour appréhender une personne ou la maintenir en détention sont interdites. Tout prévenu ou accusé a droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une décision de justice devenue définitive. La détention préventive est une exception » ; 

17.Considérant cependant que la présentation publique de l’identité d’une personne soupçonnée d’avoir commis un viol, ou une autre infraction quelconque  s’apparente à une présomption de culpabilité aux yeux du public , d’autant plus que la présentation se fait au moment de l’enquête préliminaire ; que par ailleurs, la publication constitue une pression envers le juge pour ordonner le maintien en détention préventive , qui selon le dernier alinéa de l’article 13 suscité constitue une exception ; que par conséquent,  l’article 6 insérant un article 332 Ter au Code pénal n’est pas conforme aux dispositions de l’article 13 alinéas 6, 7, 8 et 9 de la Constitution et doit être extirpé ;

Concernant l’article 9 alinéa premier portant sur l’applicabilité immédiate de la loi déférée sur les procédures pendantes devant les Cours et les tribunaux

18.Considérant qu’il ressort de l’exposé des motifs de la loi soumise au contrôle ainsi que de sa lecture que ladite loi porte sur l’aggravation des peines concernant les infractions de viol commis sur des mineurs ; que dès lors, il ne s’agit pas de lois de procédure  qui, d’après les dispositions de l’article 8 alinéa 2 de l’ordonnance n°62-041 sur  les dispositions générales de droit interne et de droit international privé régissant le principe de la non rétroactivité de la loi, « s’appliquent  aux instances en cours qui n’ont pas fait l’objet de décisions définitives. » ; 

19.Considérant que l’article 13 alinéa 3 de la Constitution dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi promulguée et publiée antérieurement à la commission de l’acte punissable » ; que le constituant a érigé le principe de la non rétroactivité de la loi pénale au rang de principe ayant valeur constitutionnelle ; que dans le cas d’espèce, il s’agit de surcroît d’une loi pénale plus sévère ; que par conséquent, l’article 9 alinéa 1erde la loi déférée est contraire à l’article 13 alinéa 3 de la Constitution et doit être extirpé ;

20.Considérant que les autres articles de la loi déférée entre autres l’ article 4 complétant la définition du viol donnée par l’article 332 du Code pénal et  prévoyant  les peines prévues classifiées en fonction de l’âge de la victime, l’article 7 modifiant et complétant les dispositions de l’article 333 du Code pénal établissant les circonstances aggravantes en cas de viol et l’article 9 alinéa 2  ont été prises conformément à l’article 95-I-8° de la Constitution ; que le but poursuivi par le législateur, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs de la loi déférée, est d’avoir une législation dissuasive de la répression et la prévention de la récidive ; que les autres dispositions de ladite loi  sont détachables des autres articles déclarés non conformes à la Constitution aux considérants 17 et 19;

21.Considérant de tout ce qui précède que la loi déférée ne comporte aucune autre disposition contraire à la Constitution ; qu’il convient de déclarer les articles 1er, 2,3,4,5, 7, 8, 9 alinéa 2, 10 et 11 de la loi n°2024-001 conformes à la Constitution sous réserve des considérants 12 et 13 ;

EN CONSEQUENCE
DECIDE

Article premier. –La saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.

Article 2.- Les articles 6 et 9 alinéa premier de la loi n°2024-001 modifiant et complétant certaines dispositions du Code pénal malagasy ne sont pas conformes à la Constitution et doivent être extirpés.

Article 3.-les articles 2, 3 et 5 de la loi déférée sont conformes à la Constitution sous réserve de la publication d’un texte règlementaire précisant les modalités d’exécution de la peine de castration chirurgicale et de la substitution de la peine de castration chimique en castration chirurgicale.

Article 4.- Les articles 1er, 4, 7,8, 9 alinéa 2, 10 et 11 de la loi n°2024-001modifiant et complétant certaines dispositions du Code pénal malagasy sont conformes à la Constitution.

Article 5.-La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat et publiée au Journal Officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi vingt-trois février l’an deux mille vingt-quatre à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa,Président
Monsieur NOELSON William,HautConseiller–Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle ,HautConseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, HautConseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assisté de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.