La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi n°2003-044 portant Code du Travail ;

Vu la décision n°12-HCC/D3 du 21 juillet 2004 relative à la loi n°2003-044 portant Code du Travail ;

Vu la requête en date du 24 juillet 2015, enregistrée au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 27 juillet 2015 sous n°767, par laquelle des délégués et syndicats réunis de la Cie Air Madagascar, ayant pour conseil Me Willy RAZAFINJATOVO, Avocat au barreau de Madagascar, soulèvent l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 225 alinéa 2 du Code du Travail ;

Vu la requête datée du 18 août 2015 de « la Réunion des syndicats du personnel d’Air Madagascar représentée par le syndicat Fisemare en la personne de Madame Lalao RASOAMANANORO, son secrétaire général », ayant pour conseil Me Andry Fiankinana ANDRIANASOLO, Avocat au barreau de Madagascar saisissant la Haute Cour Constitutionnelle aux mêmes fins que ci-dessus ;

Vu les mémoires en défense en date du 13 août 2015 et du 16 septembre 2015 présentés par la Direction de la Législation et du Contentieux sollicitant de déclarer irrecevable la requête en date du 18 août 2015 pour forclusion, de rejeter purement et simplement les requêtes aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de l’article 225 du Code du Travail ;

Vu les mémoires en réplique en date du 15 septembre 2015 de Me Willy RAZAFINJATOVO et du 29 septembre 2015 de Me Andry Fiankinana ANDRIANASOLO, Conseil de « la Réunion des syndicats du personnel » confirmant les termes de leur requête ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

SUR LA COMPETENCE DE LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE

Considérant que les deux requêtes susvisées aux fins d’exception d’inconstitutionnalité ayant même cause et même objet présentent un lien de connexité et d’indivisibilité évident ; qu’il convient d’en ordonner la jonction pour y être statué par une seule et même décision ;

Considérant que la Direction de la Législation et du Contentieux soulève l’irrecevabilité de la deuxième requête en date du 18 août 2015 en ce qu’elle n’a pas respecté le délai de 15 jours imparti par la sentence arbitrale avant-dire-droit n°02 du 9 juillet 2015 pour saisir la présente haute juridiction ;

Considérant cependant que le délai de 15 jours prescrit par la sentence arbitrale avant- dire-droit ne court qu’à compter de la notification aux parties de la décision ; que cette dernière n’a été notifiée aux requérants que le 5 août 2015 ; qu’il s’ensuit que le délai imparti pour saisir la Cour de céans est respecté ;

Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie par les requérants sur la base de l’article 118 alinéa 3 de la Constitution, selon laquelle « de même, si devant une juridiction, une partie soutient qu’une disposition de texte législatif ou réglementaire porte atteinte à ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, cette juridiction sursoit à statuer et saisit la Haute Cour Constitutionnelle qui statue dans un délai de un mois » ;

Considérant que les requérants ont soulevé l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 225 du Code du Travail devant le Conseil d’arbitrage du Tribunal du Travail ; que le Conseil d’arbitrage par sa sentence du 9 juillet 2015 s’est prononcé pour le sursis à statuer de la procédure d’arbitrage jusqu’au prononcé de la décision de la Haute Cour Constitutionnelle sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 225 alinéa 2 du Code du Travail ;

Considérant que par sa Décision n°12-HCC/D3 du 21 juillet 2004 relative à la loi n°2003-044 portant Code du Travail, la Haute Cour Constitutionnelle a décidé que ladite loi ne contient aucune disposition contraire à la Constitution ; que, cependant, le contrôle de constitutionnalité de 2004 a été exercé sur la base de la Constitution de la Troisième République ; qu’en conséquence, la Cour de céans est compétente pour procéder à la vérification de la conformité de la loi n°2003-044 à la Constitution de la Quatrième république ;

Qu’ainsi, les requêtes des délégués et syndicats réunis des employés de la Cie Air Madagascar sont recevables ;

SUR LA CONSTITUTIONNALITE DE L’ARTICLE 225 ALINEA 2 DU CODE DU TRAVAIL

Considérant que les requérants soutiennent que l’absence de voie de recours de la sentence arbitrale, tel qu’il est prévu à l’article 225 alinéa 2 du Code du Travail porte gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux, en particulier le droit de la défense ; que, selon l’article 13 alinéa 6 de la Constitution, « l’Etat garantit la plénitude et l’inviolabilité des droits de la défense devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure […]» ; et qu’en conséquence, cet article 225 doit être extirpé du Code du Travail du fait de sa non-conformité à la Constitution ;

Considérant que, selon le défendeur, « il ne saurait être contesté que la loi n°2003-044 – et en tout cas l’article 225 – est conforme à la Constitution actuellement en vigueur, dès lors qu’il est constant que les dispositions constitutionnelles – dans leur version issue du référendum de 2010 – ne modifient ni le contenu ni l’esprit de la précédente Loi fondamentale, en ce qui concerne l’ensemble du dispositif régissant le code du Travail (et l’article 225), au regard des principes fondamentaux et des libertés fondamentales » ;

Considérant que la procédure d’arbitrage constitue la troisième et ultime étape des procédures de règlement des différents collectifs régis par les articles 209 à 227 du Code du Travail ; que la négociation et la médiation constituent des étapes préalables obligatoires avant la procédure de l’arbitrage ; qu’ainsi, l’arbitrage est le dernier recours en matière de règlement des différends collectifs de Travail ; qu’en conséquence, en vertu de l’existence des différentes étapes précitées, l’absence de recours après l’arbitrage ne peut pas constituer une atteinte aux droits de la défense ;

Considérant qu’il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de procédure des ordres de juridictions en vertu de l’article 95 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, mais à la condition que ces différences de procédures ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des droits de la défense ;

Considérant que selon l’article 7 de la Constitution, « les droits individuels et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution et leur exercice est organisé par la loi » ; que d’après l’article 10 de la Loi fondamentale, elles peuvent être limitées par le respect des libertés et droits d’autrui, et par l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat ; que selon l’article 33 de la Constitution, « le droit de grève est reconnu sans qu’il puisse être porté préjudice à la continuité du service public ni aux intérêts fondamentaux de la Nation » ;

Considérant que le contrôle de constitutionnalité a été exercé par la Haute Cour Constitutionnelle conformément à la Constitution de la Troisième République, en particulier par rapport aux Droits et devoirs civils et politiques ainsi qu’aux Droits et devoirs économiques sociaux et culturels prévus par les articles 9 à 40 de la Loi constitutionnelle n°98-001 du 8 avril 1998 portant révision de la Constitution ;

Considérant que les droits et devoirs civils et politiques ainsi que les droits et devoirs économiques, sociaux et culturels, prévus par les articles 7 à 39 de la Constitution de la Quatrième République sont fondamentalement les mêmes que ceux reconnus par la Constitution de la Troisième République ; qu’en conséquence, l’adoption d’une nouvelle Constitution, ne remet pas en cause la conformité à la Loi fondamentale du Code du Travail en général, et de l’article 225 alinéa 2 en particulier ; que la question de constitutionnalité d’une loi déjà déclarée conforme à la Constitution par la Haute Cour Constitutionnelle ne devrait plus être soulevée devant elle ;

Considérant que de tout ce qui précède, les moyens avancés par les requérants ne sont pas fondés ; qu’il échet de rejeter les présentes demandes ;

En conséquence
Décide

Article premier. – La requête en date du 24 juillet 2015 des « délégués et syndicats réunis de la Compagnie Air Madagascar » et celle en date du 18 août 2015 de « la réunion des syndicats du personnel d’Air Madagascar » représentée par le syndicat Fisemare en la personne de Madame Lalao RASOAMANANORO, aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de l’article 225 alinéa 2 du Code du Travail, sont jointes.

Article 2. – L’article 225 alinéa 2 du Code du Travail est conforme à la Constitution.

Article 3. – Les requêtes susdites sont rejetées.

Article 4.- La présente décision sera notifiée aux requérants et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi vingt-et-un octobre l’an deux mille quinze à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller-Doyen ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;
Mr. TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;
Mr RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haut Conseiller ;
Mr DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.