La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution du 11 décembre 2010;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°2509-PM/CABMIL.SN du 18 août 2011, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur l’interprétation des articles 56, 65 et 95-II de la Constitution de la IVème République ;

Considérant d’emblée que, tel qu’énoncé au préambule de la Constitution, la préservation de la paix et de la sécurité humaine, la pratique de la solidarité, la sauvegarde de l’unité nationale ainsi que la gestion rationnelle et équitable des ressources naturelles pour les besoins du développement de l’être humain constituent les conditions d’un développement durable et intégré ;

Qu’aussi, la demande d’avis se réfère à la nécessité du respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale qui figure parmi les principes fondamentaux énoncés au Titre premier de la Constitution ;

Considérant que le Premier Ministre, Chef du Gouvernement estime que pour le respect et l’application de la lettre et de l’esprit de la Constitution, il importe de procéder à la mise en place des institutions et organes de la IVème République ;

Considérant qu’en matière de défense et de sécurité, la loi fondamentale prévoit en son article 56 la mise en place du Haut Conseil de la Défense Nationale (HCDN), la détermination des attributions du Premier Ministre en matière de défense et de sécurité en son article 65 et des principes généraux de l’organisation de la défense nationale et de l’utilisation des Forces armées ou des Forces de l’ordre par les autorités civiles en son article 95-II ;

Considérant qu’aux fins de la mise en œuvre des dispositions des articles suscités, une commission chargée d’étudier et de rédiger un avant-projet de loi portant « organisation de la défense nationale à Madagascar » a été mise en place au sein de la Primature et que ladite commission comprend les représentants de tous les ministères ; qu’à cet égard, la variété, la dimension et la complexité des problèmes relatifs à la défense et à la sécurité exigent la participation de différents départements ministériels autres que ceux chargés des Forces de l’ordre ;

Considérant dès lors qu’il importe de circonscrire les concepts de défense et de sécurité, leur domaine d’application respectif, la fixation de leur frontière, le rapport ou l’interdépendance entre eux ;

Considérant qu’en procédant à l’analyse de la défense, de la stratégie de sécurité nationale et de la sécurité, la commission a déduit que la défense ne peut être que globale et qu’en conséquence, le Haut Conseil de la Défense Nationale (HCDN) ne devrait pas revêtir un caractère exclusivement militaire ;

Que tel est le sens devant être accordé aux dispositions de l’article 56 de la Constitution qui, en son alinéa 2, prescrit que le Haut Conseil de la Défense Nationale exerce sa mission destinée à la préservation de la paix sociale sous l’autorité du Président de la République et, en son alinéa 4, énonce que le Président de la République « arrête en Conseil des Ministres, le concept de la défense nationale sous tous ses aspects militaire, économique, social, culturel, territorial et environnemental » ;

Qu’en outre, la commission estime que la Constitution n’exclut pas l’emploi des militaires pour des missions de sécurité intérieure et que de même, la Gendarmerie Nationale, à côté de ses missions de police, peut être habilitée à opérer dans celles de la défense ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 56, alinéa premier, de la Constitution : « Le Président de la République est le Chef Suprême des Forces armées dont il garantit l’unité. A ce titre, il est assisté par un Haut Conseil de la Défense Nationale » ;

Considérant que le Premier Ministre, Chef du Gouvernement avance que la garantie de l’unité nationale et des Forces armées ne pourrait être assurée par l’unique conseil des militaires mais qu’elle est subordonnée à d’autres éléments déterminants de la vie nationale ;

Considérant que de tout ce qui précède, il s’avère utile d’éclairer la commission sur deux questions eu égard aux dispositions constitutionnelles :
1-Aux termes des dispositions de la Constitution, doit-on élargir et ouvrir la composition du Haut Conseil de la Défense Nationale à des départements autres que ceux chargés des Forces de l’ordre (Armée, Gendarmerie Nationale, Police Nationale) ?
2-La Constitution permet-elle d’inclure le Haut Conseil de la Défense Nationale dans l’organisation générale de la défense prévue à l’article 95-II ?

Dans l’affirmative, quelle sera sa place au sein de l’organisation générale de la défense,
eu égard à ses missions telles que définies à l’article 56 de la Constitution ?
Dans la négative, quel sera son rapport vis-à-vis de l’organe constituant l’organisation générale de la défense ?

EN LA FORME :

Considérant que dans le cas présent, la Haute Cour Constitutionnelle est saisie par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement sur l’interprétation des dispositions des articles 56, 65 et 95-II de la Constitution ;

Que la saisine, émanant d’un Chef d’institution sur des matières rentrant dans la compétence de la Haute Juridiction, doit être déclarée régulière en la forme et recevable, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution;

AU FOND :

Considérant qu’il ressort de l’examen de la demande que le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, après consultation de la commission chargée de l’élaboration d’un projet de loi sur l’organisation générale de la défense nationale, sollicite l’avis de la juridiction de céans tant sur le rôle, la nature, la composition du Haut Conseil de la Défense Nationale que sur sa place au niveau de l’organisation générale de la défense à Madagascar ;

Considérant par ailleurs, que les articles 56, 65 et 95-II de la Constitution évoqués dans la demande d’avis, relèvent essentiellement de la consécration constitutionnelle de la répartition des compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en matière de défense nationale et de sécurité ;

Considérant d’emblée qu’aux termes des dispositions de l’article 56, en son alinéa premier, de la Constitution, le Président de la République est le Chef Suprême des Forces armées ; que cette prérogative est conférée au Président de la République élu au suffrage universel direct et à ce titre, aux termes des dispositions de l’article 45 de la Constitution, il est chargé notamment de veiller à la sauvegarde et au respect de la souveraineté nationale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et à la garantie de l’unité nationale ;

I De la compétence sur la détermination du concept de la défense nationale :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 56 de la Constitution, en son alinéa 4, le Président de la République « arrête en Conseil des Ministres le concept de la défense nationale sous tous ses aspects militaire, économique, social, culturel, territorial et environnemental » ;

Considérant qu’il en découle qu’en premier lieu, sur le principe, le concept de défense nationale revêt un caractère multidimensionnel et multisectoriel et que la circonscription de ce concept ne peut relever du seul Président de la République ;

Considérant en conséquence et en second, sur le plan organique, que le Président de la République, dans l’exercice de la formulation du concept de la défense nationale, est tenu d’arrêter ce concept avec le Premier Ministre, Chef du Gouvernement et des Ministres qui, ensemble, en tant que de besoin, peuvent recourir à l’intervention d’organismes spécialisés ou de personnalités compétentes en matière de défense nationale, en la présence et avec la participation du Haut Conseil de la Défense Nationale ; que des comités restreints ou interministériels peuvent être créés selon les circonstances ;

Considérant en troisième lieu, que l’analyse matérielle de la formulation du concept de la défense nationale peut amener à l’élaboration d’orientations générales sur la défense nationale débouchant sur des décisions relevant du Conseil des Ministres présidé par le Président de la République ;

Considérant qu’il ressort des dispositions de l’article 56, alinéa 4, de la Constitution que les travaux relatifs à la conceptualisation de la défense nationale prise dans une large acception, requièrent à la fois les compétences des autorités civiles et celles militaires ;

II-Des attributions du Haut Conseil de la Défense Nationale au sens des dispositions constitutionnelles :

Considérant que la Constitution confère au Haut Conseil de la Défense Nationale tant une fonction délibérante et permanente qu’une fonction consultative et ponctuelle ;

Considérant en effet que d’une part, le Haut Conseil de la Défense Nationale assure une fonction délibérante et permanente quand il est chargé d’assister le Président de la République en sa qualité de Chef Suprême des Forces armées dont il garantit l’unité, aux termes des dispositions de l’article 56, alinéa premier, de la Constitution ;

Qu’il en est de même pour le cas où le Haut Conseil de la Défense Nationale « sous l’autorité du Président de la République, a notamment pour mission de veiller à la coordination des actions confiées aux Forces armées afin de préserver la paix sociale » selon l’alinéa 2 du même article ;

Considérant d’autre part, que le Haut Conseil de la Défense Nationale exerce une fonction consultative et ponctuelle quand il donne son avis sur l’engagement des forces et moyens militaires pour les interventions extérieures, avant la décision du Président de la République prise en Conseil des Ministres, conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 56 de la Constitution ;

Que de même, l’avis du Haut Conseil de la Défense Nationale est sollicité avant le recours aux Forces de l’ordre par le Premier Ministre afin de rétablir la paix sociale et ce, en cas de troubles politiques graves avant la proclamation de la situation d’exception, tel que prescrit par l’article 65-10° de la Constitution ;

Considérant qu’il ressort des dispositions constitutionnelles sus évoquées, que le Haut Conseil de la Défense Nationale est chargé d’exercer des missions d’ordre purement militaire tant en matière délibérante que consultative et ce, sous l’autorité du Président de la République et en référence au concept de la défense nationale défini en Conseil des Ministres ;

Considérant que comme ne figurant pas parmi les Institutions de l’Etat telles qu’énoncées à l’article 40 de la Constitution, le Haut Conseil de la Défense Nationale demeure un organe militaire exerçant ses fonctions auprès du Président de la République au sens des dispositions de l’article 56 de la Constitution ;

III-De la mise en œuvre de la politique de la défense nationale :

Considérant que de la lecture linéaire des dispositions de la loi fondamentale et de l’esprit des constituants, la mise en œuvre de la politique de la défense nationale incombe principalement au Premier Ministre, Chef du gouvernement et au Parlement ;

Considérant en premier lieu qu’en vertu de l’ article 65-9° de la Constitution, le Premier Ministre, pour assurer la sécurité, la paix sociale et la stabilité sur toute l’étendue du territoire national dans le respect de l’unité nationale, dispose et des forces chargées de la sécurité intérieure et de celles chargées de la défense ;

Considérant qu’il en ressort que le Premier Ministre est habilité à prendre les mesures d’utilisation de l’ensemble des Forces de l’ordre face à d’éventuelles menaces intérieures ou extérieures afin de sauvegarder l’intégrité du territoire national ;

Considérant toutefois que le recours aux Forces de l’ordre pour rétablir la paix sociale en cas de troubles graves nécessite au préalable les avis d’autres organes et institution, à savoir ceux de la Police, de la Gendarmerie, du Haut Conseil de la Défense Nationale et du Président de la Haute Cour Constitutionnelle ;

Considérant que cette consultation préalable, dans l’esprit du constituant, est destinée à éviter l’utilisation arbitraire des Forces de l’ordre au détriment de l’intérêt général et qu’en outre, les mesures prises englobent à la fois la sécurité intérieure et la défense dans sa vision globale ;

Considérant en second lieu que, d’une part, aux termes des dispositions de l’article 56, en son alinéa 2, de la Constitution, l’organisation et les attributions du Haut Conseil de la Défense Nationale sont fixées par la loi et que, d’autre part, tel que prescrit par l’article 95-II de la Constitution, la loi détermine les principes généraux de l’organisation de la défense nationale et de l’utilisation des Forces armées ou des Forces de l’ordre par les autorités civiles ;

Considérant dès lors qu’au législateur, représentant l’expression de la volonté générale, est conféré le pouvoir de la mise en place de l’organe militaire chargé de la défense nationale et de fixer les principes généraux de l’organisation de la défense nationale, conformément aux principes fondamentaux reconnus par la Constitution ;

Considérant dès l’abord que le législateur, conformément aux dispositions de l’article 56 de la Constitution, est appelé à distinguer les fonctions relevant d’ordre purement militaire telles que définies aux alinéas 2 et 3 dudit article et à l’article 65-9° et 10° de la Constitution et les fonctions liées à la conception de la défense nationale dans son aspect multidimensionnel et multisectoriel énoncé à l’alinéa 4 de l’article 56 de la Constitution ;

Considérant que dans ce sens, le Haut Conseil de la Défense Nationale est un organe militaire se situant auprès du Président de la République, et que le Conseil des Ministres peut, en tant que de besoin, faire appel à l’intervention de compétences diversifiées et multidisciplinaires pour la conceptualisation de la défense nationale ;

Considérant par ailleurs que l’utilisation abusive des Forces de l’ordre constitue une source de troubles politiques graves et des crises récurrentes sur le territoire national ;

Considérant en conséquence que les principes généraux sur l’utilisation des Forces armées ou des Forces de l’ordre par les autorités civiles, dans la lettre et l’esprit du constituant, s’opposent à toute propension des autorités civiles à l’instrumentalisation des Forces armées et des Forces de l’ordre à des fins d’ordre politique ou pour des intérêts personnels ;

Considérant qu’en tout état de cause, les principes généraux de l’organisation de la défense nationale sont destinés à orienter le concept de la défense nationale, à régir les fonctions d’ordre militaire conférées au Haut Conseil de la Défense Nationale ainsi que la mise en œuvre de la politique de la défense nationale par le Premier Ministre ;

Considérant que les principes généraux à fixer par la loi doivent traduire et reproduire les principes fondamentaux énoncés au Titre I de la Constitution ;
Considérant qu’ainsi, les règles démocratiques et le principe de l’Etat de droit qui constituent le fondement de la République, s’imposent comme critères fondamentaux pour la fixation des principes généraux ;

Que l’inaliénabilité du territoire figure parmi les objectifs de la défense nationale ;

Que la souveraineté nationale doit être sauvegardée en tout moment et rentre normalement dans la détermination du concept de la défense nationale ;

Que la garantie et la protection des libertés et droits fondamentaux des citoyens doivent être assurées par la mise en œuvre de la politique de la défense nationale ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :

Article premier.- Le concept de la défense nationale, décidé en Conseil des Ministres, peut être ouvert aux autorités civiles selon leur compétence particulière.
Article 2.- Le Haut Conseil de la Défense Nationale est chargé des missions d’ordre militaire et exerce ses fonctions auprès et sous l’autorité du Président de la République élu au suffrage universel direct.
Article 3.- Les dispositions constitutionnelles permettent d’inclure le Haut Conseil de la Défense Nationale dans l’organisation générale de la défense prévue à l’article 95-II de la Constitution.
Article 4.- Relèvent du domaine de la loi l’organisation et les attributions du Haut Conseil de la Défense Nationale ainsi que la détermination des principes généraux de l’organisation de la défense nationale et de l’utilisation des Forces armées ou des Forces de l’ordre par les autorités civiles.
Article 5.- Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi seize septembre l’an deux mil onze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.