La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu l’ordonnance n°2000-001 du 5 janvier 2001 portant loi organique relative au Sénat ;
Vu l’ordonnance n°2001-001 du 23 avril 2001 portant loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement du Sénat ;
Vu l’arrêté n°2001-01 du 8 mai 2001 portant règlement intérieur du Sénat ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°14-06/Sénat/P du 12 janvier 2006, le Président du Sénat, se référant à l’article 123 de la Constitution, saisit la Haute Cour Constitutionnelle « pour avis de constitutionnalité » d’un projet d’arrêté portant modification de l’article 62 du règlement intérieur du Sénat ;

En la forme :

Considérant que la modification du règlement intérieur du Sénat a été adoptée selon la procédure requise ; que dans ces conditions, l’objet de la communication ne saurait être assimilé ni à une demande d’avis sur un projet d’acte ni à une demande en interprétation d’une disposition constitutionnelle mais constitue bien une saisine aux fins de contrôle de constitutionnalité ;
Qu’en effet, aux termes de l’article 121, alinéa 2, de la Constitution, « Le règlement intérieur de chaque assemblée est soumis au contrôle de constitutionnalité avant sa mise en application. Une disposition jugée inconstitutionnelle ne peut être appliquée » ;

Considérant, par conséquent, que la Haute Cour Constitutionnelle est régulièrement saisie en vertu de l’article 121, alinéa 2, précité ;

Au fond :

Considérant que l’article 62 in fine nouveau du règlement intérieur objet de contrôle est libellé comme suit :

« La question est appelée par le Président. Le Ministre compétent y répond. L’auteur de la question dispose d’une seule fois de la parole. Le ministre est tenu de lui répondre. Aucune autre intervention ne peut avoir lieu.

Tout Sénateur auteur d’une question peut demander au Ministre compétent ou Chef du Gouvernement une réponse écrite et ce dernier est tenu d’y répondre dans un délai de quinze (15) jours.

Chaque président de groupe parlementaire ou son représentant a droit de dix (10) à quinze (15) minutes de temps de parole au nom de son groupe.

( le reste sans changement ) »

Considérant que dans le cadre des rapports entre le Gouvernement et le Parlement, la Constitution attribue compétence au Parlement de s’informer sur l’action gouvernementale ;
Qu’ainsi, l’article 93 de la Constitution énumère et précise que cette compétence s’exerce à l’aide de quatre moyens bien distincts qui sont :
– la question orale,
– la question écrite,
– l’interpellation et
– la commission d’enquête ;
Que les règles d’exercice de cette compétence sont fixées par la loi organique n°2001-001 du 23 avril 2001 relative à l’organisation et au fonctionnement du Sénat et qu’il revient au règlement intérieur d’en déterminer les modalités d’application ;

Considérant que l’article 51 de la loi organique susvisé stipule clairement qu’un sénateur peut poser une question orale à un ministre qui donne sa réponse séance tenante sans qu’aucun débat ni vote ne puissent s’ensuivre, et que l’article 62 du règlement intérieur organise les modalités d’exercice de cette compétence garantie par la Constitution en ce qu’une séance par mois au moins y est systématiquement réservée pendant la durée d’une session ordinaire ;

Considérant ainsi que la question orale est un moyen d’information relevant de la compétence individuelle du sénateur qui l’utilise en toute liberté et conscience ; qu’elle ne saurait constituer un contrôle de l’action gouvernementale par le Sénat, institution de l’Etat ; que la réplique éventuelle doit être laissée à la libre initiative du membre du Gouvernement et qu’en tout cas, une question orale est toujours susceptible d’être transformée en question écrite conformément à l’article 52 de la loi organique et aux dispositions y spécifiques du règlement intérieur ;

Considérant que la question orale constituant donc l’exercice d’une compétence institutionnelle organisée par la Constitution, les principes fixés par la Constitution et la loi organique doivent être strictement respectés, notamment l’inexistence en la matière de rapport de contrainte entre les membres du Sénat et ceux du Gouvernement ;

Considérant par conséquent qu’à une question orale, le Gouvernement ne saurait être tenu de répondre par écrit et, de surcroît, dans un délai non prévu ni par la Constitution ni par la loi organique ;

Considérant de ce qui précède qu’en imposant à l’occasion de la question orale des contraintes à l’égard des membres du Gouvernement, la modification apportée, en son article premier, alinéas 2 et 3, rajoute à la loi organique et viole les règles constitutionnelles de compétence, dénaturant les rapports entre le Gouvernement et le Parlement ;

Qu’elle doit être déclarée non conforme à la Constitution et à la loi organique ;

Considérant enfin, concernant le dernier alinéa du projet, que dans la mesure où une question posée par un sénateur peut aussi bien émaner de sa propre initiative ou de celle de son groupe parlementaire, rien ne s’oppose à ce qu’un sénateur puisse poser une question orale au nom de son groupe parlementaire ;

En conséquence,
D é c i d e :

Article premier.– Le projet d’arrêté du Président du Sénat modifiant et complétant l’article 62 de l’arrêté n°2001-001 du 7 mai 2001 portant règlement intérieur du Sénat est déclaré conforme à la Constitution sous réserve qu’en soient extirpés les alinéas 2 et 3 de l’article premier dudit projet.

Article 2.– La présente décision sera publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi quinze février l’an deux mil six à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller-Doyen
Mme RAHALISON née RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA née RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA – FILS Edmond, Haut Conseiller
Mme DAMA née RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef.