LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°30-PM/SGG en date du 23 mars 2005, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, en application de l’article 123 de la Constitution, demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur « l’interprétation de l’article 33 de la Constitution. » ;

Qu’il expose que :

« A la suite de la grève des Magistrats et des Enseignants, le Gouvernement a appliqué des mesures de retenue sur les salaires des grévistes .
De telles mesures ont fait l’objet de contestations .
Le droit de grève étant prévu par l’article 33 de la Constitution », il demande à la juridiction de céans, « en cas de grève dans la fonction publique et en l’absence de législation y afférente, de donner son avis sur l’application dudit article notamment quant à l’exercice du droit de grève et ses conséquences, ainsi que sur les mesures susceptibles d’être prises par les pouvoirs publics en vue de préserver l’intérêt général à travers la continuité des services publics. » ;

1. Sur la régularité de la saisine :

Considérant qu’aux termes de l’article 123 de la Constitution, « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’Institution et tout organe des provinces autonomes pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution. » ;

Considérant que la consultation du Premier Ministre, Chef du Gouvernement, en sa qualité de chef d’Institution, tend à l’interprétation des dispositions de l’article 33 de la Constitution concernant l’exercice du droit de grève dans la fonction publique ;

Qu’ainsi, la Cour de céans est régulièrement saisie ;

2. Sur le droit de grève en général :

Considérant qu’aux termes de l’article 33 de la Constitution, « Le droit de grève est reconnu et s’exerce dans les conditions fixées par la loi » ; qu’il ressort desdites dispositions que :
– le principe du droit de grève est constitutionnellement consacré ;
– le principe est applicable à tous les travailleurs sans distinction, incluant donc implicitement les agents de la fonction publique ;
– le droit de grève ne constitue pas une liberté absolue, les conditions de son exercice étant nécessairement délimitées par la loi ;

3. Sur le droit de grève dans la fonction publique :

Considérant que selon les dispositions de l’article 11 de la loi n°2003-011 du 3 septembre 2003 portant statut général des fonctionnaires, « Le droit de grève est reconnu aux fonctionnaires pour défendre leurs intérêts professionnels collectifs et à effectuer dans le cadre du respect de la législation en vigueur… » ;

Qu’il est ainsi précisé que :

– la grève des fonctionnaires doit s’exercer dans le respect de l’ordonnancement juridique en vigueur, à savoir la Constitution, les lois et les règlements ;
Qu’une réglementation de la grève des fonctionnaires doit tenir compte du statut juridique spécial auquel le fonctionnaire est soumis ;
– elle n’est licite que pour la défense des intérêts professionnels collectifs uniquement ;
Qu’il en résulte qu’une grève, menée à l’encontre de la politique gouvernementale, est politique donc nécessairement illicite ;

Considérant que si par définition la grève est un arrêt concerté et temporaire du travail en raison de l’échec d’un dialogue social et de la non satisfaction de revendications professionnelles, il n’en demeure pas moins que le régime juridique d’une grève opposant un employeur privé à ses agents ne saurait être le même que celui d’une grève opposant la puissance publique à ses propres agents ;

Considérant, en effet, que contrairement aux agents du secteur privé qui sont dans une situation contractuelle, les fonctionnaires de l’Etat, quant à eux, sont soumis à des règles de droit public ;

Considérant qu’en tout état de cause, le fonctionnaire se trouve dans une situation légale et statutaire à laquelle il a adhéré ; que sa situation est objectivement déterminée par les lois et règlements pris par les autorités compétentes suivant les nécessités de service, indépendamment de son consentement ;

Que le fonctionnaire a reçu mission d’assurer le fonctionnement normal du service public sous la direction des autorités étatiques et ce, avec loyalisme, conformisme et discipline ;

Que le service public est destiné assurer avec continuité et autorité la satisfaction de l’intérêt général, sa principale vocation ;

Considérant que si la grève constitue pour le fonctionnaire un moyen de défense des intérêts professionnels reconnu par la Constitution, elle porte inévitablement atteinte à l’intérêt général en ce qu’elle interrompt la continuité du service public ;

Considérant que pour ces raisons, et dès 1960, le législateur a établi des règles régissant la limitation du droit de grève dans la fonction publique par le biais de l’ordonnance n°60-149 du 3 octobre 1960 relative aux conditions d’exercice du droit syndical et de la défense des intérêts professionnels des fonctionnaires et agents des services publics ;

Considérant que les Constitutions successives ont conservé, d’une part, les principes de limitation des libertés, dont le droit de grève et, d’autre part, les principes de base de la fonction publique ;

Que les principes de limitation du droit de grève tirés de l’ordonnancement juridique sont notamment :
– le respect de la liberté d’autrui ;
– l’usage non abusif et non contraire aux nécessités de l’ordre public et à la continuité du service public ;
– l’interdiction même de la grève à des catégories de fonctionnaires dans tous les cas où l’interruption du fonctionnement du service nuit gravement aux besoins fondamentaux du pays, du fait que leur action est liée à celle du Gouvernement et que l’interruption du fonctionnement est susceptible de compromettre la sécurité des personnes et des biens ;

4. Sur les conséquences de la grève dans la fonction publique :

Considérant que la grève ne rompt pas les liens de l’agent public avec l’Etat ; qu’elle doit ainsi s’exercer dans le respect du devoir de réserve propre aux fonctionnaires en vertu de leur statut ;

Considérant que la grève illicite est susceptible de sanctions ;

Qu’une grève illimitée ne saurait être considérée comme licite ;

Qu’enfin, les grévistes sont responsables individuellement ou collectivement des conséquences dommageables de leurs actes illégaux ;

5. Sur les mesures susceptibles d’être prises par le Gouvernement :

Considérant que le Gouvernement est chargé par la Constitution, notamment en son article 63, de veiller au bon fonctionnement des services publics ainsi qu’au maintien de l’ordre ;

Que l’exercice du droit de grève doit tenir compte du respect des autres principes reconnus par la Constitution tels la continuité du service public et la nécessité de garantir l’ordre public ;

Considérant que même en cas de grève licite et même en l’absence de dispositions légales spécifiques, il appartient au Gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent afin de sauvegarder l’intérêt général ;

Considérant, par conséquent, qu’outre l’interdiction de faire grève édictée par la loi, le Gouvernement peut procéder à des réquisitions de fonctionnaires à titre individuel ou collectif ; que le cas échéant, il peut prendre des mesures exceptionnelles d’embauche pour assurer le bon fonctionnement du service, étant entendu que les mesures ainsi prises sont susceptibles de recours ;

6. Sur les conséquences de la grève sur le traitement des fonctionnaires :

Considérant que le fonctionnaire est soumis à un régime administratif ;
Qu’il est de principe que le traitement du fonctionnaire lui est dû à raison du service fait ;

Qu’en cas d’interruption du service ou d’inexécution des obligations du service du propre fait de l’agent public, il doit être procédé à une retenue sur sa rémunération au prorata temporis de l’interruption ; qu’il s’agit là d’une application des règles de la comptabilité publique relatives à la liquidation du traitement ;

Que la mesure de retenue n’a pas le caractère de sanction, la constatation de l’inexécution du service n’impliquant aucune appréciation du comportement personnel de l’agent comme dans le cadre d’une procédure disciplinaire ;

Qu’il en résulte qu’en cas d’arrêt de travail pour fait de grève, le fonctionnaire n’a pas droit à rémunération dès lors que l’inexécution de ses obligations est suffisamment manifeste ;

Considérant, par conséquent, que la retenue sur traitement est une mesure de nature et de portée comptable ne pouvant en aucun cas porter atteinte au droit de grève ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :

Article premier.– La grève dans la fonction publique est un droit constitutionnellement reconnu.

Article 2.– Ce droit est limité, au même titre que toute liberté constitutionnelle, même en l’absence de législation spécifique.

Article 3.– Le Gouvernement a le pouvoir de prendre des mesures de limitation du droit de grève propres à sauvegarder l’intérêt général.

Article 4.– La grève ne donne pas droit à rémunération.
La retenue sur le traitement du fonctionnaire en grève n’est pas une sanction et ne porte pas atteinte au droit de grève.

Article 5.– Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo le mercredi six avril l’an deux mil cinq à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON née RAZOARIVELO Rachel Bakoly
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA née RASOAZANAMANGA Rahelitine , Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
Mme DAMA née RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef.