La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi

Considérant que par lettre n°244/2013-PM/SGG du 11 juin 2013, enregistrée au greffe le 12 juin 2013 sous le numéro 258, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur la détermination de l’instance habilitée à fixer la date de report de l’élection du premier Président de la IVème République ;

Que le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, porte à la connaissance de la Haute Juridiction l’existence d’un désaccord au sein des membres du gouvernement sur la procédure de report de l’élection du premier Président de la IVème République ;

Qu’en effet, prenant acte de la décision n°05-CES/D du 28 mai 2013 constatant un cas de force majeure, le conseil de gouvernement du jeudi 6 juin 2013 a adopté un projet de décret fixant le report du scrutin de l’élection présidentielle au 23 août 2013 ;

Que des réactions se sont enchaînées dès l’annonce du projet de décret sus-évoqué , notamment celles matérialisées par la lettre n°1032/2013/CENI-T du 7 juin 2013 affirmant qu’il revient à la CENI-T, avec les représentants des Nations Unies, de fixer la date du report, le gouvernement ne devant se limiter qu’à la formalisation du principe du report et ce, par référence au paragraphe 10.g de la Feuille de route et à l’article 6 de la loi n°2012-004 du 1er février 2012 ;

Que le calendrier électoral évoqué est alors compris comme pouvant être aussi bien le calendrier initial que les dates des éventuels reports ;

Considérant que dans cette optique, le gouvernement n’a pas publié le décret suscité et un autre projet de décret a été introduit en conseil de gouvernement pour ne se prononcer que sur le principe du report et laissant à la CENI-T le soin de déterminer une date de report qui serait entérinée par décret en conseil des ministres en application de l’article 6 de la loi n°2012-004 du 1er février 2012 ;

Qu’un tel décret aurait alors abrogé le décret n°2013-119 pris en conseil des ministres du 6 mars 2013 ayant entériné les dates du calendrier initial et consacré la date du 24 juillet 2013 pour le premier tour de l’élection présidentielle ;

Que l’option ci-dessus proposée a cependant été contestée et ce, par référence à l’article 3 de la loi organique n°2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier Président de la Quatrième République qui enjoint le gouvernement de prendre un décret pour le report de la date du scrutin, dans les quarante-huit heures suivant la notification de la décision de la Cour Electorale Spéciale constatant un cas de force majeure ;

Qu’alors, la lettre de saisine fait relever une confusion sur l’interprétation de la notion de « décret pour le report de la date du scrutin » ; qu’en effet, l’acception d’un décret adoptant le principe de report sans détermination de date s’oppose à celle d’un décret fixant d’emblée la date de report ;

Qu’il résulte de tout ce qui précède que d’une part, se poserait la question relative à la superposition du décret à prendre en conseil de gouvernement et du décret n°2013-119 du 6 mars 2013 dont l’abrogation resterait en suspens et que d’autre part, il importe de déterminer l’instance habilitée à fixer la date de report de l’élection du premier Président de la IVème République ;

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EN LA FORME

Sur la recevabilité de la saisine :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution et de celles de l’article 41, in fine, de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle, tout Chef d’institution est habilité à saisir celle-ci pour lui demander son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution ;

Considérant que l’article 47, en son alinéa 4, de la Constitution traite du report de la date de l’élection présidentielle en cas de décès d’un candidat avant un tour du scrutin ou pour survenance d’un autre cas de force majeure, les conditions et modalités du report devant être fixées par une loi organique ;

Considérant que la loi organique n°2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier Président de la Quatrième République se réfère en son article 3 à l’article 47 de la Constitution et prescrit les conditions et modalités du report de l’élection en ses articles 3.1 à 3.4 ;

Considérant que suite à la décision n°05-CES/D du 28 mai 2013 constatant un cas de force majeure, le désaccord au sein des membres du gouvernement survient quant à la portée concrète des dispositions de la Constitution, de celles de la loi n°2012-015 du 1er août 2012 et de celles du paragraphe 10 de la Feuille de route signée par les acteurs politiques le 16 septembre 2011, insérée dans l’ordonnancement juridique interne par la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011 ;

Considérant qu’ainsi, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, en sa qualité de Chef d’institution, est alors habilité à saisir la Haute Cour Constitutionnelle pour lui demander son avis sur la matière sus-évoquée avant l’adoption du projet de décret y afférent en conseil de gouvernement ;

Qu’il échet de déclarer la demande régulière en la forme et recevable ;

Sur la compétence du juge constitutionnel :

Considérant que l’article 119 de la Constitution ainsi que l’article 41, in fine, de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001, par le biais d’une consultation émanant de tout Chef d’institution, reconnaissent au juge constitutionnel le pouvoir d’interprétation des normes juridiques ;

Considérant que dans le cas présent, la lecture des dispositions de la Constitution, notamment en son article 47, alinéa 4, amène à définir le domaine respectif d’intervention des normes ayant valeur de loi organique et des normes ayant valeur de loi ordinaire ;

Considérant que la définition du champ d’application de chacune de ces normes se fait suivant des règles objectives qui résultent d la Constitution elle-même ;

Que par conséquent, le juge constitutionnel est compétent pour examiner la présente demande d’avis ;

AU FOND

Considérant que l’examen de la présente demande d’avis nécessite la détermination des compétences attribuées, pendant la période de transition, d’une part à la Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition (CENI-T), d’autre part au Gouvernement d’Union Nationale et aux acteurs politiques malgaches ;

Sur la CENI-T :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 5 de la Constitution, en son alinéa 2, l’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale indépendante ;

Considérant qu’en période de transition, les attributions en matière électorale sont exercées par la Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition (CENI-T) au sein de laquelle sont représentés les acteurs politiques malgaches signataires de la Feuille de route pour la sortie de crise à Madagascar le 16 septembre 2011 et insérée dans l’ordonnancement juridique interne par la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011

Considérant que la Feuille de route, tel que prescrit en son paragraphe 2, vise un processus de transition neutre, inclusif et consensuel qui devra aboutir à la tenue d’élections crédibles, libres et transparentes à Madagascar ;

Considérant qu’en son paragraphe 10, la Feuille de route énonce que le cadre électoral à mettre en place est élaboré et mis en œuvre, avec l’appui des experts des Nations Unies et est fondé sur le respect des droits fondamentaux et des normes internationales ;

Que le paragraphe 10.g de la Feuille de route rajoute au principe sus-évoqué en prescrivant que « Le calendrier électoral sera déterminé conjointement par la CENI et les représentants des Nations Unies sur la base des rapports de la mission d’évaluation des besoins électoraux des experts nationaux et internationaux » et ce, « pour organiser des élections crédibles, justes et transparentes dans les meilleurs délais possibles à Madagascar » ;

Considérant que les dispositions suscitées sont corroborées par celles de la loi n°2012-004 du 1er février 2012 en son article 6 aux termes desquelles « La Commission Electorale Nationale Indépendante détermine le calendrier électoral en collaboration avec les experts internationaux dans un délai de soixante jours à compter de la mise en place du bureau permanent. La date des élections est adoptée par l’Assemblée Générale de la Commission Electorale Nationale Indépendante. Elle est entérinée par un décret pris en conseil des ministres » ;

Sur le Gouvernement :

Considérant qu’aux termes du paragraphe 8 de la Feuille de route « Le Gouvernement de transition sera chargé de l’administration des affaires courantes du pays et la mise en place des conditions nécessaires pour des élections crédibles, justes et transparentes en coopération avec la communauté internationale … », qu’il est soumis au principe de neutralité dans la période de transition en particulier dans le processus électoral et s’engage, avec le Président, l’administration et toutes les institutions de la transition, chacun en ce qui le concerne, à adopter des mesures de sécurité et de confiance pour créer une atmosphère sereine et apaisée … tel que prescrit par les paragraphes 15 et 16 de la Feuille de route ;

Considérant qu’en cas de survenance de force majeure dûment constatée par la Cour Electorale Spéciale, le Gouvernement prendra dans les quarante-huit heures un décret pour le report de la date du scrutin, tel qu’en dispose la loi n°2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier Président de la IVème République ;

Que les conditions et modalités du report sont définies aux articles 3.1 à 3.4 de la même loi et que le décret de report sera publié dans les mêmes formes que le décret de convocation des électeurs prévu à l’article 2 de la loi ;

Sur les acteurs politiques :

Considérant qu’aux termes du paragraphe 22 de la Feuille de route, « Tous les acteurs politiques malgaches parties prenantes à la Feuille de route sont invités à participer de bonne foi au processus de transition. Ils s’engagent également à instaurer un climat de paix et de sécurité pour tous les malgaches… » ;

Considérant ainsi que les dispositions constitutionnelles et légales en vigueur ont pu déterminer une répartition claire des attributions au cours du processus électoral ;

Qu’il en ressort qu’un concours de compétences a été fixé pour assurer la mise en œuvre du processus électoral et la détermination de la portée concrète des règles adoptées ;

Considérant que le calendrier électoral inclut tant la date d’élection initialement décidée que celle portant son report éventuel ainsi que les périodes intermédiaires servant à la réalisation des opérations électorales ;

Considérant que la Feuille de route pour la sortie de crise à Madagascar, insérée comme loi de l’Etat, régit la transition et définit les principes généraux relatifs aux opérations électorales ; qu’elle constitue ainsi une norme générale qui doit primer sur toute autre norme spécifique destinée à régir une catégorie d’élection ;

Considérant que la Feuille de route reconnaît à la CENI-T, en collaboration avec la communauté internationale, dans l’exercice de ses pleins pouvoirs dans la gestion du processus électoral définis au paragraphe 10.a, la détermination du calendrier électoral ;

Considérant que la détermination du calendrier électoral sus-évoqué inclut la fixation de la date du report éventuel de l’élection présidentielle qui devra être entérinée par un décret pris en conseil des ministres en application de l’article 6 de la loi n°2012-004 du 1er février 2012 ;

Que tel a été le cas pour l’adoption du décret n°2013-119 du 6 mars 2013 entérinant le report des dates des prochaines élections adoptées en Assemblée Générale de la Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition ;

Considérant dès lors que le décret pris en conseil de gouvernement pour le report de la date de l’élection présidentielle pour survenance de cas de force majeure ne peut contenir que la formalisation du report en respect de l’article 3.1 de la loi n°2012-015 du 1er août 2012 et ne peut pas fixer la date de la prochaine élection ;

Considérant que la publication dudit décret au journal officiel de la République est obligatoire et qu’il doit être porté à la connaissance des électeurs par tous les moyens notamment par voie radiodiffusée et télévisée, tel que prescrit par l’article 2 de la loi suscitée ;

Considérant que dans la fixation de la date du report de l’élection présidentielle, la CENI-T doit se conformer aux dispositions de l’article 36 de la loi organique n°2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral aux termes desquelles, « Le scrutin doit se tenir durant la saison sèche de l’année, entre le 30 avril et le 30 novembre, sauf cas de force majeure prononcée par la juridiction compétente, sur saisine de la Commission Electorale Nationale Indépendante ou ses démembrements au niveau territorial, selon la catégorie d’élections » ;

PAR CES MOTIFS
EMET L’AVIS QUE

Article premier.- La demande d’avis du Premier Ministre, Chef du Gouvernement est déclarée régulière en la forme et recevable.

Article 2.- La Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition, en collaboration avec les experts internationaux des Nations Unies, est compétente pour la fixation de la date de report de l’élection du premier Président de la IVème République.

Article 3. – Le décret pris en conseil du gouvernement se limite à la formalisation du principe du report de la date de l’élection présidentielle sans détermination de date y afférente.

Article 4.- La date fixée par la CENI-T doit être entérinée par décret pris en conseil des ministres.

Article 5.- Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi treize juin l’an deux mil treize à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.