La Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME,

1. Considérant que par lettre n° 083/PRM/SG/DEJ-18 du 06 juillet 2018, le Président de la République a saisi la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de conformité à la Constitution de la loi n° 2018-020 portant refonte de la loi sur la concurrence, préalablement à sa promulgation, conformément aux dispositions de l’article 117 alinéa premier de la Constitution ;

2. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, « la Haute Cour Constitutionnelle (….) statue sur la conformité à la Constitution et des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes (…) ; que d’après les dispositions de l’article 117 de la même Constitution, « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution (….) » ;

3. Considérant que la loi n° 2018-020 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances respectives des 22 et 29 juin 2018 ;

4. Considérant qu’ayant respecté les dispositions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité des lois, la saisine est ainsi régulière et recevable ;

AU FOND,

5. Considérant que la loi soumise au contrôle de constitutionnalité a pour objet de refondre la loi n° 2005-020 du 17 octobre 2005 sur la concurrence ; qu’elle relève de l’article 95.I.12 de la Constitution qui dispose que « le régime juridique de la propriété, des droits réels, des obligations civiles et commerciales (….) » ;

6. Considérant que la libre concurrence est le principe fondateur du commerce, elle garantit le jeu de la libre concurrence entre entreprises sur les marchés au profit des consommateurs et protège les entreprises contre les emplois des méthodes déloyales prohibés ;

7. Considérant que selon les dispositions de l’article 37 de la Constitution, « L’Etat garantit la liberté d’entreprise dans la limite du respect de l’intérêt général, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de l’environnement » ; qu’à cet égard, la loi déférée tend à renforcer et à garantir davantage le respect du principe de la liberté de la concurrence sur le marché tout en définissant les règles du jeu concurrentiel, contrôler leur application, sanctionner lourdement les comportements déviants, tant pour les entreprises que pour les personnes physiques, auteurs de pratiques anticoncurrentielles ;

Concernant l’article 6

8. Considérant que l’article 6 dispose en son dernier alinéa que « Sont exemptés de l’application de la présente loi […] les actes relevant de la souveraineté de l’Etat ou certains secteurs stratégiques définis par voie règlementaires […] » ; que l’article 95.II.5 de la Constitution dispose que « La loi détermine les principes généraux […] de l’organisation ou du fonctionnement de différents secteurs d’activité juridique, économique, sociale et culturelle » ; que la détermination des secteurs stratégiques et des principes généraux qui les régissent relève du domaine de la loi ; qu’en conséquence, les termes « secteurs stratégiques définis par voie règlementaire » ne sont pas conformes à la Constitution ;

Concernant l’article 39 alinéa 2

9.Considérant que d’après l’article 39 alinéa premier de loi présentée au contrôle, « Le Conseil de la concurrence est une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir autonome de décision ou d’influence dans le secteur de la concurrence, jouissant d’une personnalité morale, d’autonomie administrative et financière » ; que selon l’alinéa 2 de la même loi, « Il est rattaché au Ministère en charge du Commerce et sous la tutelle financière du Ministère des Finances et du Budget et a compétence sur tout le territoire national » ; que les autorités administratives indépendantes doivent être soustraites aux pouvoirs hiérarchiques, de tutelle ou de contrôle ; qu’en la matière, l’indépendance des autorités administratives indépendantes est à la fois organique et fonctionnelle ; que cette indépendance est fondée sur le principe constitutionnel d’indépendance posé à jurisprudence constante par la Cour de céans ; qu’en conséquence, l’article 39 alinéa 2 de la présente loi n’est pas conforme à la Constitution ;

Concernant les articles 47 alinéa 5 et 84

10. Considérant qu’aux termes de l’article 47 alinéa 5, « Les décisions du Conseil sont revêtues de la formule exécutoire par le Greffier en chef. Les décisions sont notifiées aux parties intéressées » ;

11. Qu’en vertu des dispositions de l’article 84 de ladite loi, « La formule exécutoire apposée par le Greffier en chef du Conseil de la concurrence et dont est revêtue la décision dudit Conseil est libellée comme suit :
– Pour les décisions condamnant à des sanctions pécuniaires :
« Au nom du Peuple Malagasy, la République de Madagascar mande et ordonne au Ministre chargé des Finances et du Budget, de faire exécuter la présente décision ».
– Pour les autres décisions :
« Au nom du Peuple Malagasy, la République de Madagascar mande et ordonne au Ministre de….. , à toute autorité publique et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pouvoir à l’exécution de la présente décision ».

12. Considérant que, par définition, le Greffier en chef est un auxiliaire de justice, relevant ainsi du Ministère de la Justice, exerçant des fonctions d’encadrement et de gestion dans les juridictions et les services du Ministère de la justice ; que le texte de la « formule exécutoire » est apposée, pour les ordonnances, les jugements et les arrêts, par le Greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision, ou, quand c’est le cas, par un notaire rédacteur d’un acte authentique lorsque celui-ci comporte reconnaissance de dette ; que « la formule exécutoire » apposée par un Greffier en chef sur une décision est, ainsi, réservée uniquement aux décisions rendues par les juridictions telles les Tribunaux, les Cours d’appel, la Cour Suprême et la Haute Cour de Justice ; que la « formule exécutoire » contraint les officiers publics et huissiers de justice de procéder à l’exécution des dispositions que contient ce titre par toutes voies d’exécution ;

13.Considérant que le régime constitutionnel de la IV République repose sur le principe de « la séparation et (de) l’équilibre des pouvoirs » tel que l’énonce le Préambule de la Constitution ; que le caractère intangible du principe de la séparation des pouvoirs est confirmé par les dispositions de l’article 163 alinéa 1er de la Constitution qui soulignent qu’au même titre que la forme républicaine de l’Etat, du principe de l’intégrité du territoire, de celui de l’autonomie des collectivités territoriales décentralisées et de la durée et du nombre de mandat du Président de la République, « le principe de la séparation des pouvoirs ne peut faire l’objet de révision (constitutionnelle) » ; qu’ainsi, le principe de séparation des pouvoir constitue « le fondement de l’ordre démocratique républicain » tout comme il représente « un principe fondamental de l’ordonnancement constitutionnel » ;

14. Considérant qu’il s’ensuit que, par respect de ce principe constitutionnel, le Conseil de la concurrence étant une autorité administrative indépendante, ce statut administratif lui interdit l’attribution de fonctions juridictionnelles ; que s’il est doté d’un pouvoir de sanction, il n’en est pas pour autant une autorité juridictionnelle ; que ses décisions n’ayant pas l’autorité de la chose jugée, ne peuvent pas, dès lors, revêtir de « la formule exécutoire » apposée par un Greffier en chef ; que d’ailleurs, l’exécution d’une décision émanant d’une autorité administrative n’a nullement besoin d’un titre ; qu’ elle est exécutoire nonobstant toutes voies de recours ;

EN CONSEQUENCE
DECIDE

Article premier.– Les articles 39 alinéa 2, 47 alinéa 5 et 84 de la loi n° 2018-020 portant refonte de loi sur la concurrence sont contraires à la Constitution.

Article 2. Les termes « certains secteurs stratégiques définis par voie règlementaire » de l’article 6 ne sont pas conformes à la Constitution.

Article 3.– Les autres dispositions de ladite loi sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 4.– La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mardi quatorze août l’an deux mil dix-huit à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseillère-Doyenne
Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller
Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère ;
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.