La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi n°94-025 du 17 novembre 1994 relative au Statut général des agents non encadrés de l’Etat ;

Vu la loi n°2003-011 du 3 septembre 2003 portant Statut général de la fonction Publique ;

Vu la loi n°2016-013 du 22 août 2016 portant lutte contre la corruption ;

Vu le décret n°2020-013 portant restructuration du Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

  1. Considérant que par lettre en date du 3 février 2021, reçue et enregistrée au greffe de la Cour de céans le 8 février 2021, le Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de droit (HCDDED) a saisi la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité du décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 portant restructuration du Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) et ses textes subséquents, par rapport aux articles 27 alinéa 2 et 95.24° de la Constitution ; 
  2. Considérant qu’aux termes de l’article 118 de la Constitution : « Un chef d’Institution ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit peuvent déférer à la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou règlementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence » ; que les termes « tout texte à valeur règlementaire » signifient, d’une part, que le constituant ne fait pas de distinction entre les règlements autonomes et les règlements d’application et que, d’autre part, il n’a pas imposé de délai entre l’adoption de l’acte et sa contestation devant la Cour de céans ; que la demande de contrôle de constitutionnalité concerne un décret et ses textes subséquents ; qu’en conséquence, la présente saisine est régulière et recevable ;

AU FOND

  1. Considérant que Monsieur Maminiaina Mahay Seth RANDRIANJAFY, Conseiller principal en éducation auprès de la branche territoriale du BIANCO à Antsiranana, n’ayant pas qualité pour saisir directement la Cour de céans, a demandé à la HCDDED de porter devant la Haute Cour Constitutionnelle le décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 portant restructuration du BIANCO et ses textes subséquents ; qu’il précise que ces textes réglementaires sont en violation des dispositions constitutionnelles ; que la HCDDED, ayant reçu la demande, a retenu sa compétence et a saisi la Haute cour Constitutionnelle ;

Sur l’inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 27 alinéa 2 de la Constitution.

 

  1. Considérant que l’article 27 alinéa 2 de la Constitution dispose que « L’accès aux fonctions publiques est ouvert à tout citoyen sans autres conditions que celles de la capacité et des aptitudes » ; que cette disposition constitutionnelle pose le principe de l’égal accès aux emplois publics ; que, d’après la décision n°2020-001/BIANCO/DG fixant les modalités d’application des dispositions transitoires du décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 : « En vue d’une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi afin d’optimiser ses compétences avérées et pour valoriser ses qualifications enfouies, faculté est donnée au personnel du BIANCO de faire acte de candidature pour deux postes différents tout au plus » ; que ces dispositions  constituent une entrave pour tout le personnel du BIANCO de postuler pour tous les postes, limitant ainsi leurs possibilités d’accéder aux emplois publics ;
  1. Considérant que ni l’article 42 de la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption ni le décret n°2020-013 portant restructuration du Bureau Indépendant Anti-Corruption ne précisent le statut juridique du BIANCO ; qu’il n’en demeure pas moins que le BIANCO est un organisme public, faisant partie des entités publiques en charge de la lutte contre la corruption ; qu’en conséquence, le recrutement en vue de pourvoir les postes en son sein doivent suivre les règles de recrutement pour les emplois publics, notamment celles régissant les deux catégories d’agents qui y sont employés, à savoir celles relevant du statut général des fonctionnaires pour les agents publics titulaires et, celles concernant les agents non encadrés de l’Etat pour les agents contractuels ; que ce sont ces textes qui sont applicables au sein du BIANCO ;  
  1. Considérant que, si le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics, proclamé par l’article 27 alinéa 2 de la Constitution impose que, en matière de recrutement, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s’oppose pas à ce que les règles de recrutement soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public ;
  2. Considérant que l’égalité devant le service public, dont fait partie l’égal accès aux emplois publics, ne doit pas être conçue comme absolue, c’est-à-dire comme imposant un traitement juridique uniforme et équivalent de tous les usagers, agents ou fournisseurs, quels que soient les circonstances et les objectifs poursuivis par le service ; qu’elle implique seulement que des personnes placées dans une situation identique fassent l’objet d’un traitement similaire ;
  3. Considérant que le principe d’égalité dans le service public a un corollaire, la non-discrimination, qui produit d’abord des effets juridiques sur les agents du service public ; que cela se traduit par l’égalité d’accès de tous les citoyens aux emplois publics sans discrimination ; que le fait de limiter les actes de candidature à deux postes différents tout au plus pour les candidatures internes au BIANCO instaure une discrimination majeure par rapport aux candidatures externes ; que le choix des personnes les plus qualifiées doit être fait au niveau de l’examen des dossiers de candidature ; que la discrimination instaurée par la décision n°2020-001/BIANCO/DG fixant les modalités d’application des dispositions transitoires du décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 n’est pas conforme à la Constitution ;

Sur l’inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.I.24° de la Constitution.

9Considérant que le requérant soutient que le décret déféré viole les dispositions de l’article 95.I.24° de la Constitution qui dispose que « La loi fixe (…) l’organisation le fonctionnement et les attributions de l’Inspection Générale de l’Etat et des autres organes de contrôle de l’Administration », en créant une disposition non prévue par la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption, à savoir : « mandat de cinq ans renouvelable pour tout le personnel en service au BIANCO » ; 

10. Considérant que, dans l’article 95.I.24 de la loi fondamentale, le constituant fait clairement référence à l’Inspection Générale de l’Etat et des autres organes de contrôle de l’Administration ; que, concernant le contrôle de l’Administration, selon Didier Batsélé, « il s’agit des procédés et moyens d’action qui ont pour objet la vérification de l’activité et de certaines activités de l’administration afin de s’assurer que celle-ci agit en vue de satisfaire les besoins d’intérêt général pour lesquels elle a été créée, dans la sphère de ses compétences, dans le respect de la légalité et dans les limites des moyens mis à sa disposition » ; que Jacques Chevalier évoque, pour sa part, des contrôles au pluriel : « Les contrôles sont là pour garantir que l’administration ne s’écarte pas de la ligne qui a été tracée. Exercés par plusieurs types d’autorités différentes, ces contrôles sont tantôt externes, tantôt internes à l’administration » ; que Viriato-Manuel Santo et Pierre-Eric Verrier lui accordent trois acceptions différentes : vérification/inspection/évaluation ; surveillance/supervision ; maîtrise/domination ; que, de manière générale, il s’agit du contrôle de l’action administrative et du contrôle des finances publiques ; 

11. Qu’il ressort de ce qui précède que la lutte contre la corruption n’entre pas dans la catégorie juridique du contrôle de l’Administration ; que les entités en charge de la lutte contre la corruption comme le BIANCO ne sont pas des organes de contrôle de l’Administration et qu’en conséquence, ils ne relèvent pas de l’article 95.I.24° de la Constitution ; 

12. Considérant que la loi n°2016-020 du 22 août 2016 sur la lutte contre la corruption relève plutôt de l’article 95.II.5° de la Constitution, donc des lois concernant l’organisation ou le fonctionnement de différents secteurs d’activité juridique, économique, sociale et culturelle ; que ce type de loi « détermine les principes généraux » laissant latitude aux textes règlementaires pour sa mise en œuvre ; que l’article 60 de la loi n°2016-020  dispose justement que « Des textes réglementaires préciseront en tant que de besoin les modalités d’application de la présente loi » ; que le présent décret  soumis à contrôle, suite logique de la loi précitée, est conçue pour une restructuration du BIANCO, voire sa structure organisationnelle remaniée en vue d’une nouvelle configuration ; que les nouvelles pratiques sont mises en œuvre et doivent donc être respectées et appliquées ; que le mandat de cinq ans pour le personnel du BIANCO, non prévu par la loi sur la lutte contre la corruption mais repris dans le décret déféré, figure parmi les nouvelles mesures prises pour bien remplir sa mission ; 

13. Considérant que de ce qui précède, la requête en inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.I.24° de la Constitution n’est pas fondée ; 

Sur l’inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.II.3° de la Constitution.

14. Considérant qu’aux termes de l’article 95.II.3° de la Constitution, « la loi détermine les principes généraux du droit du travail, du droit syndical, du droit de grève et de la prévoyance sociale » ; que si l’article 65 du décret n°2020-013 prévoit la caducité des contrats conclus entre le BIANCO et son personnel, l’alinéa 2 du même article précise toutefois que les agents du BIANCO continuent d’exercer leurs fonctions respectives et de jouir des salaires et indemnités y afférents jusqu’à la mise en place des ressources humaines résultant du processus de restructuration prévu par le présent décret ; que la mise à terme d’un contrat a priori de droit public des agents du BIANCO par un décret ne relève pas du contentieux constitutionnel mais du contentieux administratif ; qu’en conséquence, le motif invoqué sur ce point est infondé ; 

15. Considérant que la lutte contre la corruption relève de la politique publique de l’Etat ; qu’en tant qu’organisme public en charge de la lutte contre la corruption, le BIANCO assure un service public à caractère administratif ; qu’en tant que tel, le BIANCO est soumis aux principes du service public dits lois de Rolland : principe de continuité, principe d’égalité, principe d’adaptation constante ou de mutabilité ; 

16. Que le principe d’adaptation du service public est défini comme le droit pour une personne publique ou assumant une mission de service public de modifier la mise en œuvre de celui-ci en raison de l’évolution de circonstances de droit ou de fait ; qu’adapter le service public, c’est répercuter, dans son organisation et son fonctionnement, les variations et les évolutions affectant l’intérêt général et l’environnement juridique, économique et social dans lequel vit tout le service public ; que lorsque le service public administratif est géré par une personne publique, la très grande majorité de ses agents sont des agents publics sinon des fonctionnaires ; que l’agent public se trouvant juridiquement dans une situation légale et réglementaire n’a pas de droits acquis au maintien de son statut, qui peut être modifié à tout moment afin de tenir compte des nécessités d’adaptation des services publics ; qu’il en est de même pour l’agent contractuel ; que la restructuration du BIANCO est une application du principe d’adaptation constante du service public ;

17. Considérant que, même pour un service public industriel et commercial, géré par une personne publique ou une personne privée, les agents ne disposent pas d’un droit acquis au maintien des règles statutaires et l’autorité compétente peut, à tout moment, en modifier le contenu lorsque l’adaptation du service public l’exige, même si cette modification se fait dans un sens moins favorable aux agents (CE, 1er juin 1973, Syndicat national du personnel navigant commercial et autres) ;

18. Considérant que, de ce qui précède, la requête en inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.II.3° de la Constitution n’est pas fondée.

EN CONSEQUENCE

DECIDE

Article premier. – La saisine du Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit (HCDDED), aux fins d’inconstitutionnalité du décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 portant restructuration du Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) est recevable.

Article 2.- La discrimination instaurée entre candidats internes et externes par la décision n°2020-001/BIANCO/DG fixant les modalités d’application des dispositions transitoires du décret n°2020-013 du 15 janvier 2020 n’est pas conforme à la Constitution.

Article 3.- La requête en inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.I.24° de la Constitution n’est pas fondée. 

Article 4.– La requête en inconstitutionnalité du décret n°2020-013 et ses textes subséquents par rapport aux dispositions de l’article 95.II.3° de la Constitution n’est pas fondée.

Article 5.- La présente décision sera notifiée au Président du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit, au Président de la République, au Président du Sénat, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi dix-sept février l’an deux mille vingt et un à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne

Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;

Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller ;

Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère ;

Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;

Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère ;

Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.