La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

1. Considérant que par lettre n°288-PM/2018 du 17 juillet 2018, enregistrée au greffe de la juridiction de céans le même jour, le Premier ministre, Chef du Gouvernement saisit le Président de la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, aux fins d’interprétation de l’article 39 de la Constitution aux termes desquelles il est indiqué que, « L’Etat garantit la neutralité politique de l’Administration, des Forces Armées, de la Justice, de la Police, de l’Enseignement et de l’Education. Il organise l’Administration afin d’éviter tout acte de gaspillage et de détournement des fonds publics à des fins personnelles ou politique. » ;

2. Considérant, par ailleurs, que « suite au débat ayant lieu au sein du Gouvernement concernant la participation active (prise de parole en public) ou passive (assister aux meetings sans prise de parole en arborant les tee-shirts ou les outils de campagne des candidats) des ministres aux diverses campagnes électorales intéressant l’élection présidentielle de 2018, et sans préjudice des autres questions que (la Haute Cour Constitutionnelle) estime devoir soulever », le requérant sollicite l’avis de la juridiction de céans sur les questions suivantes :

– « Est-ce que les membres du Gouvernement peuvent participer aux campagnes électorales pour l’élection qui se déroulera durant les mois de novembre et décembre 2018 ?
– En d’autres termes, quelle est la limite de la neutralité des membres du Gouvernement ?
– Cette neutralité des membres du Gouvernement impose-t-elle une interdiction absolue de participer aux campagnes ? »

EN LA FORME

3. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

4. Que s’agissant d’un avis sur l’interprétation d’un article de la Constitution présenté par un Chef d’institution, en l’occurrence le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, la présente demande est régulière et recevable ;

AU FOND

Concernant la portée normative de « la neutralité politique » prescrite par l’article 39 de la Constitution

5. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 39 de la Constitution, il est prescrit que, « L’Etat garantit la neutralité politique de l’Administration, des Forces armées, de la Justice, de la Police, de l’Enseignement et de l’Education. Il organise l’Administration afin d’éviter tout acte de gaspillage et de détournement des fonds publics à des fins personnelles ou politiques » ;

6. Considérant qu’il est communément reconnu et admis que le ressort intime de toute construction d’un Etat de droit démocratique et républicain, ainsi que la finalité ultime de toute Constitution, reposent sur l’idée centrale de la satisfaction de l’intérêt général ; que la réalisation de cet impératif catégorique de la pensée politique et juridique s’articule autour de l’exigence fondamentale du respect du principe d’égalité que la Constitution consacre dans maintes de ses dispositions ;

7. Considérant, par ailleurs, que conformément aux dispositions de l’article 6 de la Constitution, proclamant le principe d’égalité de tous devant la loi, toute personne bénéficie dudit principe devant le service public qui a vocation à satisfaire l’intérêt général ; qu’elle a, en conséquence, droit à l’égal accès au service et doit être traitée de manière impartiale et de la même façon que tout autre usager ;

8. Considérant que cette exigence de neutralité et d’impartialité est intimement liée à l’interdiction de discrimination en général et au principe d’égalité des usagers du service public en particulier ; qu’elle signifie que dans un État de droit démocratique, l’autorité se doit d’être neutre et impartiale, parce qu’elle est l’autorité de, et, pour tous les citoyens, et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans distinction basée sur le sexe, l’origine, la religion ou les convictions politiques ; que pour ce motif, il est attendu des agents des services publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement eux aussi, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité, d’impartialité et d’égalité des usagers ;

9. Considérant que les principes d’égalité de tous devant la loi et devant les services publics fondent et consolident ainsi le principe de la neutralité politique de l’Administration, des Forces armées, de la Justice, de la Police, de l’Enseignement et de l’Education que l’Etat garantit, tel qu’il est énoncé par l’article 39 de la Constitution ;

10. Considérant que le principe de neutralité, qui procède de celui d’égalité de tous devant la loi implique notamment l’égal accès des usagers au service public, car « la vocation du service et de ses agents consiste (…) à assurer à tous les usagers une égalité de traitement dans un esprit d’objectivité et dans le respect de la liberté (…) de chacun » ; qu’elle impose au fonctionnaire d’« assurer ses fonctions à l’égard de tous les administrés dans les mêmes conditions, quels que soient leurs opinions religieuses ou politiques, leur origine, leur sexe, et doit s’abstenir de manifester ses opinions » ;

11. Considérant, en outre, que le principe de neutralité est valable à l’égard de « tout agent collaborant à un service public » sans qu’il y ait lieu de distinguer selon les fonctions exercées, dans la mesure où il est un corollaire du principe d’égalité consacré comme un principe fondamental du service public ;

12. Considérant de ce qui précède que le principe de neutralité de l’article 39 de la Constitution est un principe essentiel à la confiance nouée entre les citoyens et les pouvoirs publics ; et que tout usager doit être assuré de l’impartialité d’un agent public à son égard ;

Concernant le périmètre d’application de l’article 39 de la Constitution

Sur la différenciation entre la fonction du Gouvernement et la fonction de l’Administration

13. Considérant que sur le plan matériel, le concept d’Etat évoqué par l’article 39 de la Constitution pour garantir « la neutralité politique de l’Administration, des Forces armées, de la Justice, de la police, de l’enseignement et de l’éducation », s’appréhende, en l’occurrence, de manière large pour désigner l’ensemble des pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel, dont chacun concourt à faire advenir les règles et principes de la neutralité, dans leurs sphères respectives de compétences constitutionnelles, selon les modalités qui leur sont conférées par la Loi fondamentale ;

14. Considérant en outre que, si le principe de la séparation des pouvoirs représente l’un des fondements de l’ordonnancement constitutionnel, la Constitution prévoit au sein de chacun d’eux, des organes distincts et de statut différencié qui se voient conférer des fonctions spécifiques ; que si pour le pouvoir législatif, la Constitution distingue l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est dans cette même perspective que s’inscrit la différenciation entre le Président de la République et le Gouvernement pour ce qui concerne le pouvoir exécutif ;

15. Considérant, par ailleurs, qu’aux termes des dispositions de l’article 63 alinéa 1er de la Constitution, le Gouvernement est un organe collégial dirigé par le Premier ministre, et que dans la mise en œuvre de ses attributions, le même article 63 in fine souligne que « le Gouvernement dispose de l’Administration »; qu’il en ressort qu’au sens matériel, le Gouvernement peut mobiliser tant les ressources humaines que sont les fonctionnaires et les agents composant la Fonction publique, que les ressources matérielles constituées par des installations, des bâtiments ou des équipements des services publics constituant la logistique de l’Administration ;

16. Considérant qu’en dépit de rapports régis par la recherche d’un équilibre subtil entre une nécessaire subordination de l’Administration au Gouvernement afin que ce dernier puisse mettre en œuvre sa politique, et une indispensable autonomie de la première pour qu’elle préserve son efficacité sur le plan technique, Gouvernement et Administration exercent des fonctions distinctes ; qu’à cet effet, la fonction du Gouvernement a un rôle d’initiative, d’impulsion, de direction et de définition de la politique à appliquer, alors que la fonction de l’Administration recouvre un rôle de conseil et de mise en œuvre de cette politique ; que sur le plan fonctionnel, les rapports entre le Gouvernement et l’Administration sont de nature hiérarchique ;

17. Considérant qu’au-delà de la distinction des organes gouvernemental et administratif telle qu’elle est prévue par l’article 63 in fine de la Constitution, la différence dans la nature des fonctions explique le fait que celles-ci soient soumises à des régimes juridiques séparés ;

18. Considérant, enfin, que l’article 39 de la Constitution définit de manière claire et explicite le périmètre d’application de « la neutralité politique » qu’elle prescrit, en l’assignant à « l’Administration, (aux) Forces armées, (à) la Justice, (à) la Police, (à) l’Enseignement et (à) l’Education », qui constituent des champs de mise en œuvre de l’action administrative ; qu’à aucun moment de cet article, la Constitution n’évoque d’imposer la même exigence ce « neutralité politique » pour la fonction du Gouvernement ; qu’au surplus, une telle prescription ouvre et donne lieu à une contradiction entre la fonction du Gouvernement de définir des orientations politiques, telle que précédemment décrite, et le principe de « la neutralité politique », ce qui ruinerait le principe lui-même ;

19. Considérant qu’en conséquence, les exigences de neutralité de l’Administration et d’impartialité des services publics concernent aussi bien les ressources humaines que les ressources matérielles et logistiques de l’Administration, appréhendée de manière générale ; qu’elles s’imposent à tout instant de la mise en œuvre de la fonction administrative par la puissance publique, et s’appliquent de manière plus renforcée dans les secteurs spécifiques énumérés par l’article 39 de la Constitution ;

Sur la situation indifférenciée des titulaires des hauts emplois de l’Etat

20. Considérant que le système malgache de la Fonction publique repose sur deux piliers qui sont, d’une part, une fonction publique de la carrière fondée sur la compétence et le mérite ; que dans ce modèle, les agents sont recrutés non pour y occuper un poste vacant, ou une fonction particulière, mais pour y « faire carrière » par le biais des promotions internes ou des concours internes ; que d’autre part, le fait que la loi, par le truchement « du Statut général des fonctionnaires civils et militaires de l’Etat et des fonctionnaires territoriaux », conformément aux dispositions de l’article95-II-2° de la Constitution, détermine les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires, les protège contre les changements d’ordre politique et garantissant leur neutralité ;

21. Considérant, toutefois, que ce modèle de la Fonction publique connaît de plus en plus d’inflexions et de tempéraments notamment pour les hauts emplois de l’Etat, dont la liste est indiquée en annexe à la Loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums ; qui sont de plus en plus pourvus selon le « système des dépouilles » (spoil system), et organisés suivant le modèle de l’emploi dit « ouvert » ;

22. Considérant que si le modèle de la carrière contribue à entretenir une dialectique de l’unité de la situation légale et règlementaire des agents de la fonction publique sous le patronage du Statut général et d’une continuité de l’action publique, le modèle de l’emploi, quant à lui, participe d’une dynamique de la diversité et de la précarité des statuts, caractérisés par un recrutement par décret pris à la discrétion des pouvoirs publics et révocable ad nutum comme la Cour de céans l’a souligné dans son Avis n°01-HCC/AV du 20 mai 2009 sur l’interprétation de l’article 56 de la Constitution (de la Troisième République) ; que de la même façon, le modèle de l’emploi, conjugué avec le « système des dépouilles », concourt à atténuer le principe d’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique, et à renforcer davantage la proximité des activités administratives à l’action politique, rendant plus ardu le respect de l’obligation de neutralité des titulaires des hauts emplois de l’Etat ;

23. Considérant que la généralisation constatée, voire la systématisation d’un recours au « système des dépouilles » bien au-delà des hauts emplois de l’Etat tend, aujourd’hui, à accroître la subordination de l’appareil administratif au pouvoir politique, au risque de dénaturer les fondements du modèle de la carrière de la Fonction publique, voire d’altérer la fonction propre de l’Administration, par une péremption de facto de l’obligation de neutralité prévue par l’article 39 de la Constitution ;

24. Considérant que, nonobstant, en matière électorale, la Loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums, par le biais des dispositions de son article 60, a entendu s’en tenir au strict respect des injonctions de neutralité qui s’impose à l’Administration, en ne tenant aucunement compte des conditions statutaires des agents de la Fonction publique, et soumettre ceux-ci de manière universelle à tout « fonctionnaire civil ou militaire et agent non encadré de l’Etat et des Collectivités territoriales décentralisées », quelle que soit sa position au sein de la hiérarchie de la Fonction publique, à la prescription de l’article 13 de la loi n°2003-011 du 3 septembre 2003 portant Statut général de la Fonction publique, en application des dispositions de l’article 39 de la Constitution ;

25. Considérant que, selon la même dynamique, le législateur organique soumet les « personnes non fonctionnaires exerçant une haute fonction ou un haut emploi civil de l’Etat », ne pouvant relever du Statut général de la Fonction publique, à l’interdiction « de distribuer, dans l’exercice de sa fonction ou à l’occasion de l’exercice de celle-ci, des professions de foi et des circulaires pour le compte d’un candidat, d’une liste de candidats ou d’une option ; de diffuser des slogans ou des discours liés à la propagande électorale ou référendaire pendant la durée de la campagne électorale » ;

Sur les membres non élus de l’exécutif des collectivités territoriales décentralisées

26. Considérant que l’article 95-II-2° de la Constitution a prévu la mise en place, à côté de la Fonction publique de l’Etat, d’une Fonction publique des collectivités territoriales décentralisées, en application du principe de libre administration des collectivités territoriales, dont l’organisation, pour l’une ou l’autre, relève, du domaine de la Loi ;

27. Considérant que concernant la Fonction publique de l’Etat, la loi n°2003-011 du 3 septembre 2003 portant Statut général de la Fonction publique a fait le choix du modèle de la Fonction publique de la carrière ; à défaut d’une législation organisant la Fonction publique des collectivités territoriales, ses premières indications sont fournies par les dispositions de la Loi organique n°2014–018 du 12 septembre 2014, régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des collectivités territoriales décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires ;

28. Considérant que selon les termes de l’article 114 de la Loi organique sus-indiquée, « (…) les membres de l’organe exécutif (des collectivités territoriales décentralisées) sont nommés par arrêté du Chef de l’exécutif dont le nombre est fonction de la capacité financière de la collectivité territoriale décentralisée. Il est mis fin à leurs fonctions dans les mêmes formes et conditions » ;

29. Considérant qu’au regard de leur statut juridique, ces responsables non élus de l’exécutif des collectivités territoriales décentralisées participent à la fonction d’administration des collectivités territoriales décentralisées, prévue par l’article 141 de la Constitution ; qu’à ce titre, ils relèvent de l’application de l’article 39 de la Constitution ;

30. Considérant qu’en conséquence, les membres non élus de l’exécutif des collectivités territoriales décentralisées sont tenus à l’obligation de neutralité au même titre, et avec les mêmes obligations, que celles qui s’imposent aux fonctionnaires de la Fonction publique de l’Etat ;

Sur le devoir de réserve des fonctionnaires et des agents de l’Administration de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées

31. Considérant qu’au-delà de l’obligation de neutralité du fonctionnaire, laquelle s’appréhende dans l’exercice des fonctions, les dispositions de l’articles 60 de la Loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 accordent une portée plus large, dans le temps et dans l’espace, à l’encadrement du comportement du fonctionnaire civil ou militaire et de l’agent non encadré de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées, car le respect de l’obligation de neutralité ne se limite pas aux seuls moments où le fonctionnaire est présent à son service, mais qu’elle concerne et vaut pendant toute la période de la campagne électorale, générant, en conséquence, au-delà du devoir de « réserve d’usage » auquel le fonctionnaire et l’agent publics sont tenus, une « période de réserve » ;

32. Considérant que, de manière classique, le fonctionnaire et/ou l’agent non encadré des collectivités territoriales, durant le service, est astreint à une obligation de neutralité et, en dehors, à un devoir de réserve ; que le devoir de réserve, un principe d’essence jurisprudentielle, limite la liberté d’expression des agents dans l’exercice de leurs fonctions en ce qu’il consiste en une modération de l’expression, oral ou écrit, mais aussi de tout acte matériel traduisant explicitement ou implicitement des opinions de toute nature, afin que ces prises de position ne portent pas atteinte à l’intérêt du service, sa neutralité et au bon fonctionnement de l’administration ;

33. Considérant que dans le cadre du respect de la « période de réserve », le devoir de réserve est apprécié non seulement dans le cadre du service, mais même en dehors, de manière globale, amenant le fonctionnaire à faire preuve de mesure dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles pendant toute la période de la campagne électorale ; qu’à cet égard, l’appréciation de la portée du devoir de réserve, un principe de valeur constitutionnelle procédant des dispositions de l’article 39 de la Constitution, incombe à l’autorité hiérarchique, sous le contrôle du juge du fond saisi à l’endroit d’un manquement du fonctionnaire et/ou l’agent non encadré des collectivités territoriales à son devoir de réserve ; qu’à cet effet, le juge tient compte, de divers éléments tels que la teneur des propos, le niveau de responsabilité, la nature des fonctions, la publicité donnée à l’expression des opinions, le contexte dans lequel les opinions ont été émises et la publicité qui leur a été donnée, la circonstance que son auteur soit investi d’un mandat politique ou syndical ;

Concernant l’application de l’article 39 de la Constitution aux membres du Gouvernement

Sur une application différenciée de l’article 39 de la Constitution selon la nature des attributions exercées par le Ministre

34. Considérant que le statut juridique du ministre, membre du Gouvernement, se caractérise par un dédoublement fonctionnel dégagé par la jurisprudence administrative , l’autorisant à participer, à la fois, à la fonction de l’administration et à la fonction du Gouvernement ;

35. Considérant qu’au titre de l’exercice de la fonction de l’administration, il appartient au Ministre, en tant que chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité, et dispose, à cet effet, du pouvoir réglementaire d’organisation interne de ses services, qu’il exerce, notamment, par voie d’arrêté ou de circulaire ; que ce pouvoir réglementaire lui permet de réglementer la situation des agents placés sous ses ordres, de prendre des mesures de caractère général mais qu’il ne peut l’exercer que dans la mesure où les nécessités du service l’exigent, et envers les seules personnes qui se trouvent en relation avec le service soit qu’elles y collaborent (critère hiérarchique) soit qu’elles l’utilisent (critère de l’usager) ;

36. Considérant que dans l’exercice de ses attributions qui ressortissent du pouvoir de l’Administration, le Ministre est soumis au respect des dispositions de l’article 39 de la Constitution, le tenant au respect, dans ce cadre, de l’obligation de neutralité ; que dans ce cadre et en période électorale, le Ministre ne peut pas exercer de pressions directes ou indirectes sur les cadres et agents de son ministère ou d’orienter le vote des électeurs ; que, d’autre part, le Ministre ne doit pas combiner visites ministérielles sur le terrain et participation à la campagne électorale, cette combinaison constituant une usage détourné des biens publics ;

37. Considérant que lorsque le Ministre, membre du Gouvernement, œuvre, par la délibération, à la détermination de « la politique générale de l’Etat » en Conseil des Ministres dirigé par le Président de la République, selon les dispositions de l’article 55 de la Constitution, ou qu’il y participe, en Conseil de gouvernement dirigé par le Premier ministre aux termes de l’article 66 de la Constitution, il se place dans la configuration de l’exercice du pouvoir gouvernemental lequel, par essence en tant qu’il a pour vocation de fixer des orientations politiques, est incompatible avec les exigences de « la neutralité politique » indiquée par l’article 39 de la Constitution ;

38. Considérant que, selon l’article 63 alinéa 2 de la Constitution, le Gouvernement « met en œuvre la politique générale de l’Etat » ; que cette disposition constitutionnelle implique que le Ministre, dans l’exercice de ses fonctions, doit assurer le bon fonctionnement de l’Etat ;

39. Considérant que le Gouvernement de consensus est chargé, prioritairement, de l’organisation des élections ; que l’intérêt supérieur de l’Etat prime sur les intérêts partisans ;

Sur les limites de la liberté d’intervention des Ministres pendant la campagne électorale

40. Considérant l’Article 9 de la décision n° 18-HCC/D3 du 25 mai 2018, le décret n° 2018-640 du 29 juin 2018 fixant les conditions d’application de certaines dispositions de la loi organique n° 2018-008 du 11 mai 2018, la décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013 relative à un recours contre un acte règlementaire qui dispose que « le Législateur, en instituant l’obligation de neutralité aux autorités sus-spécifiées, entend exclure, sous quelque forme que ce soit, toute prise de position susceptible de rompre l’égalité de chance entre les candidats ; Que le même ordre d’esprit a guidé le Législateur dans l’élaboration des lois électorales du pays en imposant entre autres la démission des autorités politiques candidats à tous mandats publics électifs

41. Que la seule présence des chefs d’institution, en particulier, des membres du Gouvernement de consensus et de l’ensemble de fonctionnaires d’autorité dans une campagne électorale, de manière active ou passive, constitue un manquement à l’obligation de neutralité qui s’impose à eux et risque d’affecter le processus électoral;

En conséquence,
la Haute Cour Constitutionnelle
émet l’avis que :

Article premier Les Ministres, membres du Gouvernement, ne peuvent pas participer à la campagne électorale se rapportant à l’élection du Président de la République dont le premier tour de scrutin est prévu pour le 7 novembre 2018 et le second tour, le 19 décembre 2018.

Article 2– La neutralité de l’Administration en général doit être garantie selon les considérants du présent Avis.

Article 3.– Le présent Avis sera notifié au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, Chef du Gouvernement et publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le samedi onze août l’an deux mil dix-huit à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseillère-Doyenne
Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller
Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère ;
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.