La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

  1. Considérant que par lettre n°30/04/PRM/AIN/2019 du 24 avril 2019, enregistrée le même jour au greffe de la juridiction de céans, le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution et de l’article 41 dernier alinéa de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 relative à la Haute Cour Constitutionnelle, saisit la Haute Cour Constitutionnelle pour donner son Avis sur le pouvoir du Président de la République de soumettre directement au Peuple le vote d’une loi constitutionnelle par voie référendaire ; 
  1. Considérant que par lettre n°028-19/Sénat/PS du 23 avril 2019, enregistrée le 24 avril 2019 au greffe de la juridiction de céans, le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur l’interprétation des dispositions constitutionnelles, notamment les articles 104, 161, 162, 163 ;

EN LA FORME

  1. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’institution et tout organe des Collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution» ;
  2. Que les deux demandes, émanant de deux chefs d’institution, en l’occurrence le Président de la République et le Président du Sénat, sont régulières et recevables ; qu’elles ont dans leur finalité le même objet ; qu’en conséquence, il convient de joindre la seconde demande d’avis à la première ;

AU FOND

Sur l’article 5 alinéa premier de la Constitution

  1. Considérant que l’article 5 alinéa premier de la Constitution dispose que « la souveraineté appartient au peuple, source de tout pouvoir, qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect, ou par la voie du référendum »; que la souveraineté démocratique à Madagascar est mise en œuvre dans le cadre d’une démocratie semi-directe ; qu’elle implique la coexistence d’organes représentatifs comme le Président de la République ou les Assemblées parlementaires et de procédures d’interventions populaires directes comme le référendum ;

Sur l’article 55.5° de la Constitution

  1. Considérant d’après les dispositions de l’article 55.5° de la Constitution, que « le Président de la République […] peut sur toute question importante à caractère national, décider en Conseil des Ministres, de recourir directement à l’expression de la volonté du peuple par voie de référendum »; que cette innovation de la loi fondamentale de la Quatrième République permet au Président de la République d’organiser un référendum de consultation, c’est-à-dire de connaître avec certitude l’opinion du peuple, qui est appelé à donner son avis, sur un sujet d’intérêt national ou de problème de société bien déterminé, ou un référendum de ratification comme l’adhésion à une Convention internationale ou une organisation internationale ; que le référendum constitutionnel, relatif à la révision de la Constitution, ne relève pas du champ de l’article 55.5 mais du Titre VI de la Constitution ;

Sur l’article 104 de la Constitution

  1. Considérant que, selon l’article 104 de la Constitution, « le Parlement vote à la majorité absolue des membres composant chaque Assemblée, peut déléguer son pouvoir de légiférer au Président de la République pendant un temps limité et pour un objet déterminé.

La délégation de pouvoir autorise le Président de la République à prendre, par ordonnance en Conseil des Ministres, des mesures de portée générale sur des matières relevant du domaine de la loi » ;

  1. Que la délégation du pouvoir de légiférer correspond à la possibilité offerte au Président de la République de prendre des textes de loi ordinaire ou organique par ordonnance ; qu’elle signifie le transfert temporaire du pouvoir législatif du Parlement au Président de la République et non de tous ses pouvoirs ;

Sur le Titre VI de la Constitution

  1. Considérant que la révision de la Constitution relève exclusivement du Titre VI de la Constitution, c’est-à-dire des articles 161 à 163 ; que la Constitution de la Quatrième République est dite « rigide » car elle prévoit elle-même une procédure spéciale pour sa révision, plus difficile que celle suivie pour la loi ordinaire ; que la Constitution organise cette procédure, longue et complexe, pour éviter que la Loi fondamentale ne soit révisée trop facilement et trop fréquemment ; qu’en droit constitutionnel, elle a pour objet de protéger la Constitution et les droits de la minorité ;
  2. Considérant que le choix du moment de la révision appartient aux gouvernants et notamment au Président de la République et aux Assemblées parlementaires selon l’article 161 ; qu’il en est de même pour les raisons de la révision ; que cependant, les articles 161 et 162 posent la condition du « cas de nécessité jugée impérieuse » ; que la Constitution ne précise pas le contenu de cette notion de « cas de nécessité jugée impérieuse » ; que le cas échéant, il appartient à la Cour de céans d’en apprécier la réalité ; que, si la juridiction constitutionnelle n’exerce pas un contrôle sur le contenu même de la révision, il exerce le contrôle du respect de la procédure de révision prévu par la Constitution ;
  3. Considérant que la procédure de révision est inscrite dans les articles 161 à 163 de la Constitution ; qu’elles prévoient une procédure unique de révision et imposent certaines limites et restrictions à l’exercice du pouvoir de révision ; que, concernant l’adoption de la révision, les alinéas 2 et 3 de l’article 162 imposent une révision par le Parlement suivie d’une intervention directe du peuple ;
  4. Considérant que l’article 162 alinéa 2 dispose que « le projet ou proposition de révision doit être approuvé(e) par les trois quarts des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat » ; qu’à la différence de l’initiative de la révision où les Assemblées parlementaires statuent « par un vote séparé », pour la discussion et l’adoption de la révision, l’Assemblée nationale et le Sénat siègent ensemble selon une procédure spéciale plus solennelle avec l’exigence d’un vote positif des trois quarts des parlementaires ; que pour l’adoption de la révision de la Constitution, le Parlement exerce son pouvoir constituant dérivé et non pas son pouvoir législatif ; que la délégation temporaire du pouvoir législatif prévu par l’article 104 de la Constitution ne peut pas couvrir le pouvoir constituant dérivé du Parlement ;
  5. Considérant que l’article 162 alinéa 3 de la Constitution prévoit une phase finale de ratification populaire ; que le texte adopté par les deux assemblées est soumis à référendum ; que, selon les dispositions de l’article 162, le référendum à lui seul ne suffit pas pour la ratification mais constitue un complément du vote du Parlement ;

En conséquence,

la Haute Cour Constitutionnelle

émet l’Avis que :

Article premier.- La démocratie semi-directe prévue par l’article 5 de la Constitution implique la coexistence d’organes représentatifs comme le Président de la République ou les Assemblées parlementaires et des procédures d’interventions populaires directes comme le référendum.

Article 2.- En vertu de l’article 55.5 de la Constitution, le Président de la République dispose du droit d’initiative pour l’organisation d’un référendum de consultation ou de ratification mais pas en matière de révision constitutionnelle en référence au Considérant  6.

Article 3.- La délégation du pouvoir de légiférer de l’article 104 de la Constitution donne la possibilité au Président de la République de prendre des textes de loi ordinaire ou organique par ordonnance mais pas de loi référendaire, relevant du pouvoir constituant dérivé.

Article 4.- Le Président de la République dispose du droit d’initiative référendaire en matière de révision de la Constitution, sous réserve du respect de l’ensemble des prescrits constitutionnels prévus par le Titre VI de la Loi fondamentale, en référence aux Considérants 9 à 13.

Article 5– Le présent Avis sera notifié au Président de la République, au Président du Sénat et publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi vingt-cinq avril l’an deux mille dix-neuf à quatorze heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseillère-Doyenne

Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller

Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller

Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère

Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller

Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère

Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller

Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.