La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En la forme

  1. Considérant que par lettre n°03-2020/SENAT/P en date du 14 janvier 2020, enregistrée le même jour au greffe, la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie par le Président du Sénat aux fins de demander la caducité des ordonnances prises en Conseil des Ministres par le Président de la République ;
  2. Considérant qu’aux termes de l’article 118 de la Constitution, « Un Chef d’institution peut déférer à la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence.» ;
  3. Considérant que la présente demande, émanant d’un Chef d’institution, en l’occurrence le Président du Sénat, est régulière et recevable ;

Au fond

I.SUR LES DIFFERENTS TYPES D’ORDONNANCES

4. Considérant que plusieurs catégories d’ordonnances sont prévues par la Constitution ; que cette dernière autorise le Président de la République à légiférer par voie d’ordonnance pour les cas énumérés aux articles 61 in fine, 92 alinéa 7, 104, 165 in fine ;

  1. Considérant que l’article 61 in fine dispose que « […] Dès la proclamation de l’une des situations d’exception précitées, le Président de la République peut légiférer par voie d’ordonnance pour des matières qui relèvent du domaine de la loi» ; que l’usage de cette catégorie d’ordonnance est strictement limité aux cas de situation d’exception ;
  2. Qu’aux termes de l’article 92 alinéa 7, « Si le parlement n’a pas adopté le projet de loi de finances avant la clôture de la seconde session, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par voie d’ordonnance en y incluant un ou plusieurs des amendements adoptés par les deux Assemblées » ; qu’en matière d’ordonnance financière, la compétence du gouvernement ne résulte pas d’une autorisation parlementaire ; qu’elle est prévue par la Constitution et s’exerce en cas de carence du Parlement ; qu’elle s’épuise en un seul usage par l’édition des ordonnances mettant en vigueur les dispositions budgétaires ; qu’en matière d’ordonnance financière, le Gouvernement n’est pas tenu de déposer un projet de loi de ratification ;
  3. Considérant que suivant l’article 165 in fine, « les textes à caractère législatif relatifs à la mise en place des institutions et organes, ainsi que les autres lois d’application prévues par la présente Constitution seront pris par voie d’ordonnances » ; que cette catégorie d’ordonnance concerne uniquement la mise en place des institutions de la République ;
  4. Considérant que, conformément à l’article 104 de la Constitution, « le Parlement, par un vote à la majorité absolue des membres composant chaque Assemblée, peut déléguer son pouvoir de légiférer au Président de la République pour un temps limité et pour un objet déterminé. La délégation de pouvoir autorise le Président de la République à prendre, par ordonnance en Conseil des Ministres, des mesures de portée générale sur des matières relevant du domaine de la loi » ; que ces ordonnances relèvent de la procédure législative déléguée;
  5. Que les ordonnances, prises par le Président de la République jusqu’à la mise en place de la nouvelle formation de l’Assemblée Nationale en 2019, conformément à l’article 104 susmentionné, et en application de la loi d’habilitation « loi n°2019-001 déléguant le pouvoir de légiférer au Président de la République » ont été déclarées par la Cour de Céans, conformes à la Constitution ; que la Haute juridiction dans sa décision n °05- HCC/D3 du 13 février 2019 concernant la loi n°2019-001 déléguant le pouvoir de légiférer au Président de la République a émis l’obligation de déposer un projet de loi de ratification au cours de la deuxième session parlementaire de 2019 ;

II.SUR LA NECESSITE ET L’OBLIGATION DE DEPOSER UN PROJET DE LOI DE RATIFICATION

10. Considérant que les ordonnances prises par le Président de la République dans le cadre des articles 61 in fine, 92 alinéa 7, 165 in fine de la Constitution ne nécessitent  pas le dépôt de projets de loi de ratification au niveau du Parlement ; que par contre, l’ordonnance prise sur le fondement de l’article 104 requiert l’adoption d’une loi d’habilitation par le Parlement et  le dépôt de projet de loi de ratification au niveau de ce Parlement ; qu’il s’agit d’un pouvoir délégué par le Parlement au Président de la République pour un temps limité et pour un objet déterminé ;

11.Considérant qu’une délégation de pouvoirs, dans le cadre de la relation entre le Parlement et le Président de la République , en vertu de l’article 104 susmentionné, est considéré comme  un acte juridique par lequel une autorité (le délégant ) se dessaisit d’une fraction des pouvoirs qui lui sont conférés et les transfère à une  autre autorité (le délégataire ) ; que l’obligation de rendre compte de ce que l’on fait ou de ce que l’on ne fait pas dans le cadre de la délégation constitue un des  critères de la délégation de pouvoirs ; qu’en ce qui concerne la délégation de pouvoirs dans l’esprit de l’article 104 de la Constitution, l’obligation de rendre compte se traduit par l’obligation du dépôt de projet de loi de ratification pour que l’autorité délégataire ( le Président de la République ) porte à la connaissance de l’autorité délégant ( le Parlement) pour validation les différentes ordonnances qui ont été prises ; que  la ratification a pour effet de transformer rétroactivement l’ordonnance concernée en texte de valeur législative ; que du fait de sa ratification, l’«ordonnance acquiert valeur législative à compter de sa signature » ; que l’objet essentiel du projet de loi de ratification est donc bien de maintenir en vigueur les ordonnances édictées ; que le principe de la ratification des ordonnances a notamment été posé par la Cour de céans dans son avis n°02-HCC/AV du 10 mai 2012 ;

III. SUR LA CADUCITE DES ORDONNANCES NON RATIFIEES

  1. Considérant que la caducité d’un acte juridique (loi, ordonnance) est le sort qui frappe l’acte devenu caduc ; qu’en dehors de la volonté du législateur l’acte ne sanctionne pas un vice l’entachant dès l’origine de la validité de l’acte mais sanctionne une carence ultérieure entamant l’acte dans sa perfection ou l’empêchant d’être efficace ; qu’elle ne joue que pour l’avenir et n’entraîne pas l’extinction d’un droit ;
  2. Considérant que le Président du Sénat sollicite de la Haute Cour Constitutionnelle de déclarer caduques les ordonnances édictées en 2019 par le Président de la République en Conseil des Ministres ; qu’il s’appuie sur la décision n°05-HCC/D3 du 13 février 2019 déléguant le pouvoir de légiférer au Président de la République, en ses dispositifs et en son article 3 aux termes desquels « les projets de loi de ratification des ordonnances doivent être déposés devant le Parlement au cours de sa seconde session ordinaire de l’année 2019 » ;
  3. Considérant que les ordonnances ont été prises en exécution du programme général de l’Etat ; que, compte tenu du caractère exceptionnel de l’absence temporaire de l’Assemblée Nationale et en vertu du principe de continuité de l’Etat, la procédure des ordonnances devrait concerner des mesures ne pouvant pas attendre la seconde session ordinaire du Parlement; que les ordonnances non ratifiées, au titre du même article 104 pourraient devenir caduques et pourraient être déclassées à de simples actes règlementaires ;  que, toutefois, la procédure  de déclaration de la caducité des ordonnances obéit à des conditions préalables ; qu’en sus du délai fixé pour le dépôt du projet de loi de ratification, à priori, les autorités exécutives manifestent une résistance expresse  ou un désintérêt explicite pour l’adoption du projet de loi de ratification ; que cette opposition devrait être consignée dans un procès-verbal de rencontre entre le Parlement et le Gouvernement ou dans un échange de correspondance entre les deux autorités , exécutives et législatives ;
  4. Qu’en l’absence des actes justifiant cette opposition, la Cour de céans, sur saisine du Parlement, enjoint le Gouvernement à régulariser le dépôt du projet de loi de ratification sous peine de caducité des ordonnances prises par le Président de la République en 2019 ; que la ratification de l’ordonnance ne peut être qu’expresse, c’est-à-dire résultant du vote d’un projet de loi déposé à cet effet ;
  5. Considérant que dans sa décision n°05/HCC/D3 du 13 février 2019, la Cour de céans a également émis la recommandation selon laquelle « les projets de loi de ratification des ordonnances doivent être déposés devant le Parlement au cours de sa seconde session ordinaire de l’année 2019 » ; qu’étant donné que le maintien en vigueur des ordonnances édictées est la raison de la ratification afin que la continuité de l’Etat et la sécurité juridique soient préservées, il convient de considérer la nature non substantielle de la date de ratification pour se focaliser sur sa réalisation dans les meilleurs délais ;
  6. Qu’il appartient donc aux autorités concernées dans le cadre de l’article 96 de la Constitution de faire adopter les projets de loi de ratification au cours de la prochaine session du Parlement ; qu’en droit constitutionnel, la pratique des ratifications groupées est possible et de plus en plus fréquente, conformément à la décision n° 05-HCC/D3 du 13 février 2019 sus visée de la Cour de céans ;
  7. Considérant cependant que l’ordonnance n°2009-005 portant loi de finances rectificative a été déjà entièrement exécutée ; que les ordonnances relatives à un accord de prêt concernant le financement d’un projet sont des engagements internationaux en cours d’exécution et non susceptibles de remise en cause ; qu’en conséquence, ces ordonnances sont exemptées de ratification ;

En conséquence

Décide

Article premier.- La demande du Président du Sénat est déclarée recevable.

Article 2.- Le Gouvernement régularise le dépôt des projets de loi de ratification au cours de la prochaine session du Parlement, sous peine de caducité des ordonnances prises par le Président de la République en 2019.

Article 3.L’ordonnance n°2019-005 portant loi de finances rectificative et les ordonnances relatives à un accord de prêt concernant un financement de projet sont exemptées de ratification.

Article 4.- La présente décision sera notifiée au Président du Sénat, au Président de la République, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi cinq février l’an deux mille vingt à quinze heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne

Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller

Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller

Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère

Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller

Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère

Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller

Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère

Et assistée de Maître RALISON  Samuel  Andriamorasoa, Greffier en Chef.