La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que par arrêt n°166/CEP du 08 novembre 2022 rendu par le Conseil d’Etat de la Cour Suprême transmis à la Haute Cour Constitutionnelle suivant lettre en date du 15 mars 2022 enregistrée au greffe de la Cour de céans le 26 avril 2023, le Président de la Chambre du contentieux de l’excès de pouvoir, première section, du Conseil d’Etat de la Cour Suprême saisit la Cour de céans de l’exception d’inconstitutionnalité concernant les articles 8 et 19 du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 relatif à la refonte totale des listes électorales et du registre électoral national , et l’article 14-4 de la loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums, en violation de l’article 14-4 de la Constitution et ce, suite à la requête déposée par le Parti Social Démocrate représenté par son Secrétaire National, Madame Eliana BEZAZA ;

  1. Considérant qu’à la lecture de la requête déposée par le Parti Social Démocrate en date du 08 Juillet 2022, il est uniquement soulevé l’exception d’inconstitutionnalité du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 en ses articles 8 et 19 relatif à la refonte totale des listes électorales et du registre électoral national ; que le Conseil d’Etat a cependant saisi la Cour de céans de la constitutionnalité de l’article 14 alinéa 4 de la loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums ; que l’article 118 alinéa 2 de la loi fondamentale suscitée attribue uniquement aux parties au procès le droit de soulever une exception d’inconstitutionnalité d’un texte à valeur législatif ou règlementaire ; qu’en effet, l’ exception d’inconstitutionnalité se définit comme étant un mécanisme constitutionnel par lequel le justiciable, partie dans un procès, invoque contre une disposition législative ou règlementaire que la justice voudrait lui appliquer le fait que cette dernière soit contraire à la Constitution ;
  1. Considérant que l’article 118 alinéa 1er de la Constitution dispose que « Un Chef d’Institution ou le quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou les organes des Collectivités Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit peuvent déférer à la Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence” ; que le Conseil d’Etat ne fait pas partie des autorités habilitées par la loi fondamentale à introduire une saisine directe de la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité par voie d’action ; que la saisine du Conseil d’Etat portant sur la constitutionnalité de l’article  14 alinéa 4 de la loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums est irrecevable ;
  1. Considérant que selon l’article 118 alinéa 2 de la Constitution, « si, devant une juridiction une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et saisit la Haute Cour Constitutionnelle qui statue dans un délai de un mois » ; que l’alinéa 3 du même article ajoute que « de même, si devant une juridiction, une partie soutient qu’une disposition de texte législatif ou règlementaire porte atteinte à ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, cette juridiction sursoit à statuer dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent » ;

5.Considérant que la saisine introduite par le Président de Chambre du Contentieux de l’excès de pouvoir, première section, du Conseil d’Etat de la Cour Suprême sur l’exception d’inconstitutionnalité des articles 8 et 19 du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 relatif à la refonte totale des listes électorales et du registre électoral national ayant ainsi respecté les dispositions constitutionnelles relatives à l’exception d’inconstitutionnalité, est régulière et recevable ;

AU FOND

  1. Considérant que l’article 14 alinéa 4 de la Constitution dispose que « Les partis et organisations politiques concourent à l’expression du suffrage. » ; que les articles 8 et 19 du décret déférés devant la Cour , pour violation de l’alinéa 4 de l’article 14 de la loi fondamentale suscité, sont formulés comme suit « Les partis politiques, les organisations non gouvernementales, les associations ou groupements agréés en matière d’éducation civique et d’observation des élections sont admis à siéger au sein de la commission locale de recensement des électeurs en tant qu’observateurs. Ces entités doivent faire une déclaration auprès du responsable désigné, par niveau, par la Commission Électorale Nationale Indépendante et lui adresser la liste de leurs membres affectés à cet effet, sans toutefois dépasser pour chaque entité le nombre de deux (2). », « L’accomplissement des formalités prescrit à l’article précédent est constaté par un procès-verbal établi par le démembrement de la Commission Électorale Nationale Indépendante au niveau du district. Les représentants de l’État territorialement compétents en reçoivent copie » ; que la requérante soutient qu’attribuer la qualité d’observateurs aux représentants des partis politiques lors de l’organisation des élections, notamment lors de la refonte de la liste électorale, entrave leur droit de concourir à l’expression du suffrage, reconnu par l’article 14 alinéa 4 de la Constitution ;
  1. Considérant que le suffrage prévu par l’article 14 alinéa 4 suscité , élément fondamental de la démocratie, se définit comme étant le droit de vote accordé à chaque individu pour exprimer son choix lors d’une élection ou d’un référendum, que la participation des partis politiques à l’expression du suffrage s’entend par la présentation de candidats qui défendent des objectifs et de programmes politiques lors des élections ou une option lors d’un référendum; que cette disposition n’octroie aucun droit aux partis politiques d’être représenté au sein des structures et des démembrements  de la Commission Electorale Nationale Indépendante  au même titre que les membres permanents ayant voix délibérative ;
  1. Considérant en effet , que la Constitution en son article 5 alinéa 2 dispose que « L’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale indépendante. » ; qu’en application dudit article, la loi n°2015-020 du 19 octobre 2015 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée CENI a été adoptée ; que l’article 32 de la loi 2015 -020 du 19 octobre 2015 sur la CENI pose clairement, en ce qui concerne la formation non permanente de cette structure, que «Le représentant de chaque comité de soutien par option ou de chaque parti politique légalement constitué ou chaque candidat ou liste de candidats se présentant à titre indépendant et autres sensibilités siègent au sein de la Commission Électorale Nationale Indépendante jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. Il jouit d’un statut d’observateur et peuvent prendre part aux débats avec voix consultative.» ; que la composition ainsi que le fonctionnement de ladite structure et de ses démembrements ont été fixés par le législateur dans le but de garantir son indépendance et sa neutralité afin d’assurer l’égalité de traitement de tous les acteurs du processus électoral mais surtout pour que la gestion et l’organisation des opérations électorales se fassent d’une manière transparente ;

9.Considérant enfin que les dispositions attaquées sont une réplique de l’article 14-4 de la loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums, et qu’en octroyant la qualité d’observateurs aux représentants des partis politiques au sein de la Commission Locale de Recensement des électeurs, le législateur a estimé que cela permettrait de garantir la transparence dans le recensement des électeurs et l’établissement de la liste électorale ;

  1. Considérant, de tout ce qui précède que les articles 8 et 19 du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 relatif à la refonte des listes électorales et du registre électoral national sont conformes à la Constitution et que la requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité desdits articles doit ainsi être déclarée non fondée ;

EN CONSEQUENCE,

DECIDE :

 Article premier. – La saisine en exception d’inconstitutionnalité de l’article 14 alinéa 4 de la loi n°2018-008 sur le régime général des élections et des référendums est irrecevable.
Article 2.- La requête en exception d’inconstitutionnalité des articles 8 et 19 du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 est régulière et recevable.
Article 3 Les articles 8 et 19 du décret n°2022-667 du 11 mai 2022 sont conformes à la Constitution.
Article 4 La requête en exception d’inconstitutionnalité présentée par le Parti Social Démocrate représenté par son Secrétaire National, Madame Eliana BEZAZA, est non fondée.
Article 5 La présente décision sera notifiée au Président de Chambre du Contentieux de l’excès de pouvoir, première section, du Conseil d’Etat de la Cour Suprême, au Parti Social Démocrate, à la Direction de la Législation et du Contentieux, au Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi vingt-quatre mai l’an deux mille vingt-trois à neuf heures trente minutes, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane,Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia,Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.