La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu la Déclaration Universelle des droits de l’Homme du  10 décembre 1948, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,  le Pacte International sur  les droits économiques, sociaux et culturels du 03 Janvier 1976 , la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 , la Charte Africaine des droits de l’homme et des Peuples du 27 Juin 1981 , la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant du 1er Juillet 1990 et la Charte Africaine de la Jeunesse du 02 Juillet 2006 ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Ouï les conclusions et observations verbales des parties à l’audience publique du 16 août 2023 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que suivant lettre en date du 14 Juillet 2023 et enregistrée au greffe de la Cour de céans le 20 Juillet 2023,   le Président du  Tribunal Administratif de Fianarantsoa   a  saisi  la Haute Cour Constitutionnelle par jugement avant-dire-droit n°05/ADD/23-TA/FI ayant ordonné le sursis à statuer du Tribunal Administratif de Fianarantsoa suite à l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par Mesdames RAVOLOLONIRINA Anastasie Pascaline et RAZAINJAFY Jacqueline Odette dans le litige les opposant au lycée d’Alakamisy Itenina et la Direction Régionale de l’Education Nationale de la Région Haute Matsiatra  représentée par la Direction de la Législation et du Contentieux dans les dossiers de procédures n°12/23/TA-FI, 14/23/TA-FI et 16/23/TA-FI aux fins de répondre aux questions suivantes :

  • Est-il conforme à la liberté de conscience et de religion reconnue par l’article 10 de la Constitution, ainsi que par l’article 18 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’article 9 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant reconnus par Madagascar, d’imposer l’obligation de chanter l’hymne national à un élève dont la conscience religieuse ne lui permet pas de le faire ?
  • Est-il conforme au droit à l’instruction et à l’éducation reconnu par l’article 23 de la Constitution ainsi que la Convention relative aux droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant en son article 4, de punir par un renvoi temporaire, voire définitif, un élève dont la conscience religieuse ne lui permet pas de chanter l’hymne national ?
  1. Considérant que selon l’article 118 alinéa 2 de la Constitution, « si, devant une juridiction une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et saisit la Haute Cour Constitutionnelle qui statue dans un délai de un mois» ; que l’alinéa 3 du même article ajoute que « de même, si devant une juridiction, une partie soutient qu’une disposition de texte législatif ou règlementaire porte atteinte à ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, cette juridiction sursoit à statuer dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent » ;
  2. Considérant que la saisine introduite par le Président du Tribunal Administratif de Fianarantsoa suite à l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par Mesdames RAVOLOLONIRINA Anastasie et consorts, ayant ainsi respecté les dispositions constitutionnelles relatives à l’exception d’inconstitutionnalité, régulière en la forme est recevable ;

Sur les faits :

  1. Considérant que les enfants RAFANANTENANA Talaky Fenohasina Shaaraf , FARAMAMY Ifaliana Jamina et MILANTOSOA Nekena Annanie Mario, respectivement filles de RAVOLOLONIRINA Anastasie et de RAZAINJAFY Jacqueline Odette  sont scolarisées au lycée Alakamisy Itenina pour l’année scolaire 2022-2023 ; que le 24 octobre 2022, l’enfant MILANTOSOA Nekena Annanie Mario a été renvoyée de cours pour avoir refusé de chanter l’hymne national à la demande du Proviseur mais a pu revenir le lendemain après comparution de sa mère au bureau du lycée ; que le 07 novembre 2022, les trois enfants susmentionnées ont été convoquées devant huit professeurs par le Proviseur du lycée pour leur demander de chanter l’hymne national ; que les trois enfants  appartenant à la religion « Témoins de Jéhovah » ayant refusé de chanter l’hymne national  firent l’objet d’un renvoi ; que malgré des démarches amiables, leur exclusion définitive fut confirmée par le Proviseur RAKOTO Andriahasanarivo suivant « Fanontaniana mila valiny »  le  13 février 2023 ;
  2. Considérant que Mesdames RAVOLOLONIRINA Anastasie et RAZAINJAFY Jacqueline Odette ayant pour conseils Me Andrinirina RASOLOFOHERIMANANA , Avocat au barreau de Madagascar et Me Petr MUZNY , Avocat aux barreaux de Berne et de Paris ont demandé l’annulation de la décision d’exclusion de leurs filles devant le Tribunal Administratif de Fianarantsoa ; que suivant requête en date du 03 mai 2023, l’Association Africaine des Témoins de Jéhovah, ayant pour conseils Me RALIMANANA Dorothée, Avocat au barreau de Madagascar et Me ASSOUMOU-AVOMO ASSA Naomie, Avocat au barreau du Gabon a demandé à intervenir volontairement dans la présente procédure et à ce que l’association puisse transmettre les informations contenues dans leur requête à la Haute Cour Constitutionnelle ;

AU FOND :

Sur les moyens et les prétentions des parties :

  1. Considérant qu’aux motifs de l’exception d’inconstitutionnalité, les requérantes, par le biais de leurs conseils, ont fait valoir que les lycéennes ont manifesté leur respect pour les symboles nationaux de leur pays par un silence solennel et digne tout en s’abstenant de chanter ; qu’elles ont agi de la même manière que les élèves Témoins de Jéhovah dans d’autres pays ; que les paroles de l’hymne national malagasy relèvent d’une dévotion telle qu’en conscience, les lycéennes ne peuvent pas entonner du fait de leur croyance ; que les enfants ont agi ainsi pour des raisons de conscience religieuse, de bonne foi et ne sont pas dictées par un acte antipatriotique ; que leur acte ne relève pas d’une indiscipline mais de l’expression d’une conscience sincère et profonde de leur croyance tout en respectant l’autorité ;

Qu’en érigeant l’obligation de chanter l’hymne national et l’inscrire dans le règlement intérieur, alors même que cette exigence n’est prévue par les textes nationaux, ni par la Constitution et encore moins par les textes internationaux, le Proviseur a ignoré le principe de la hiérarchie des normes ; qu’entonner l’hymne national est un droit et non une obligation ; que la liberté de conscience étant un droit fondamental, on ne peut punir personne pour l’avoir exercé ;

Que la création de l’obligation de chanter l’hymne national viole la Constitution en son préambule et en ses articles 10, 23 alinéas 1er et 6, ainsi que les textes internationaux à valeur constitutionnelle qui prônent le respect des libertés et droits fondamentaux ;

Que chanter l’hymne national ne peut être un acte anodin mais une forme d’expression forte qui symbolise un système composé d’un ensemble de valeurs, d’idées et de croyances ; qu’il s’agit d’un acte intime  et intériorisé par l’individu représentant une déclaration publique et extériorisée ; que l’État peut tenter d’inspirer le patriotisme et l’amour de la patrie aux apprenants par le biais de l’enseignement des principes patriotiques  mais se heurterait à la liberté de conscience et de religion s’il cherchait à forcer un apprenant à chanter son patriotisme ;

Que le fait même d’obliger une personne à accomplir un acte patriotique tel qu’un chant contre sa volonté et ses droits constitutionnels fait de l’ensemble du processus un simulacre dénué de sens ; que l’enseignement patriotique doit trouver ses limites dans le respect de la liberté individuelle, du libre arbitre et de la conscience personnelle de chaque individu ; que l’on ne peut imposer à une personne, une religion ou une croyance , comme on ne peut exiger d’un élève de déclarer une croyance patriotique à laquelle sa conscience et ses croyances l’empêcheraient d’adhérer ;

 Que le développement du sens patriotique de tout citoyen devrait s’appuyer sur un apprentissage quotidien lent et constant à partir de valeurs, de modèles et d’exemples que l’apprenant devrait adopter comme sien ; que ce processus ne peut être facilité par un raccourci imposé de force en contraignant l’apprenant à prononcer les paroles de l’hymne national d’une manière mécanique ; que si c’est le cas, l’État se trompe dans sa manière d’éduquer à la citoyenneté en produisant un patriote robot au lieu de former un patriote loyal ; qu’aucune loyauté constitutionnelle ou patriotique n’a de sens si elle est imposée de force d’autant plus quand elle heurte la personne dont la conscience profonde est éduquée par la Bible ;

  1. Considérant que dans leurs observations orales, les requérants soulèvent la question de la hiérarchie des normes dans le sens où aucun texte à Madagascar entre autres la Constitution, la loi n°2022-018 du 30 Janvier 2023 sur l’orientation générale du système éducatif malagasy, les différents décrets concernant l’éducation notamment celui n°96-714 du 14 août 1996 ainsi que la circulaire ministérielle n°10538-96/MERN/SG/DES du 29 août 1996 définissant les règlements intérieurs des lycées et des collèges relevant du Ministère de l’Éducation Nationale, n’oblige un enfant à entonner l’hymne national ;Que l’instauration d’une telle obligation ne s’avère nécessaire dans le sens où son inexécution ne porterait atteinte ni à l’ordre public scolaire ni au principe de la laïcité posé par l’article 2 de la Constitution malagasy et encore moins au principe d’égalité de tous devant la loi étant donné que le droit malagasy reconnait le pluralisme religieux ;

    Que par conséquent, imposer de chanter l’hymne national serait un non-sens constitutionnel et humain  car contraire au droit à la liberté de conscience et de religion d’un individu ;

  1. Considérant que l’Association Africaine des Témoins de Jéhovah , intervenant volontaire dans les procédures pendantes devant le Tribunal Administratif de Fianarantsoa, soutient que les requérantes rencontrent des difficultés pour exercer leurs droits à l’éducation et à la liberté de conscience et ont un accès limité aux informations contextuelles pertinentes pour l’issue du présent procès ; que par ailleurs, les autres Témoins de Jéhovah dans les autres pays africains seront affectés par la décision de la juridiction malagasy ;

Que pour ce faire, l’association rappelle quelques jurisprudences rendues par des juridictions internationales dans des litiges similaires au cas d’espèce entre autres celles de la Cour Suprême des Etats Unis West Virginia State Board of Education contre Barnette, de la Haute Cour du Ghana, de la Cour d’Appel de Tanzanie, de la Cour d’Appel de Kinshasa au Congo contre Gombe, de celle du Kenya, du Malawi, de la Cour d’Appel de Buenos Aires en Argentine, de la Cour Suprême du Costa Rica, de la Cour Suprême de l’Inde, de la Cour Suprême des Philippines mais aussi une décision du Ministre de l’Éducation du Rwanda ;

Que le droit fondamental à l’éducation a été reconnu comme un droit de l’homme dans plusieurs conventions internationales notamment  le Pacte International relatif aux droits économiques , sociaux et culturels  qui reconnaît le droit à l’éducation primaire gratuite et obligatoire pour tous , à l’obligation de développer un enseignement secondaire accessible à tous par l’instauration progressive de la gratuité de l’enseignement secondaire, ainsi qu’à un accès équitable à l’enseignement supérieur ; que le droit à l’éducation est reconnu par l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, réaffirmé dans la Convention de l’UNESCO de 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, dans la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant et dans la Convention de 2006 relative aux droits des personnes handicapées ;

Que dans l’observation générale n°1 de 2001 sur les buts de l’éducation, le comité des droits de l’enfant qui surveille la mise en œuvre de la convention relative aux droits de l’enfant a souligné l’obligation de respecter dans les programmes éducatifs l’identité de l’enfant et le respect des différences qui peuvent être fondés sur des convictions religieuses ; que le fait de s’abstenir de chanter l’hymne national ne constitue pas un manque de respect envers les valeurs nationales d’un pays mais peut être revendiqué comme une conception universaliste des droits de l’homme ;

 Que l’obligation de respecter la conscience des élèves et des parents, le droit à la liberté de pensée, de religion ou de croyance est affirmée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article 18 et le Pacte International relatif aux droits civils et politiques également en son article 18 qui ont été ratifiés par Madagascar ;

Que le caractère fondamental de ces libertés se reflète dans le fait qu’il ne peut être dérogé à cette disposition même en cas de danger public exceptionnel comme le stipule l’article 4.2 dudit Pacte ; que les limitations imposées doivent être établies par la loi et ne doivent être appliquées d’une manière qui porterait atteinte aux droits garantis et surtout, doivent être directement liées et proportionnées au besoin spécifique sur lequel les restrictions sont fondées ;

Que l’article 8 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît le droit absolu de tous les individus à la liberté de conscience, et l’article 6 de la Charte africaine de la jeunesse, l’article 9 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, l’article 14 de la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaissent le droit à la liberté de conscience ;

Que le droit à la liberté de conscience et de religion énuméré par les articles des Conventions suscitées a fait l’objet de différentes jurisprudences au niveau international telles que celles de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Haute Cour de Justice de l’Etat de Benue au Nigeria, par la Cour d’Appel de l’Ituri de la République Démocratique du Congo ;

 Qu’en outre les articles 3 et 28 de la Convention relative aux droits des enfants,  la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 en son article 17, la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant de 1990 en ses articles 4 et 11, le préambule ainsi que l’article 23 de la Constitution Malagasy protègent le droit à l’éducation et imposent également à l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de l’enfant ;

Que le Comité des droits de l’enfant pose comme critère primordial, dans tous les actes ou décisions qui le concernent que ce soit dans le sphère public ou privé, l’intérêt supérieur de l’enfant, une des valeurs fondamentales de la Convention sur les droits de l’enfant ; que cette notion étant complexe doit être déterminée au cas par cas et en fonction de la situation particulière du ou des enfants concernés, selon les circonstances, le contexte et les besoins des intéressés ;

Que par ailleurs, la sauvegarde de l’identité de l’enfant joue un rôle important dans la préservation des valeurs et traditions religieuses et culturelles en tant qu’éléments constitutifs de l’identité de l’enfant et doit aussi être prise en considération ;

 Qu’enfin les Témoins de Jéhovah ont toujours été des citoyens respectueux des lois et règlements et sont toujours restés neutres par rapport aux affaires politiques dans tous les pays et ceci en respectant les prescriptions bibliques ; qu’ils n’ont jamais porté atteinte à la sécurité ni à l’intégrité de l’État ; qu’il en est de même pour les étudiants Témoins de Jéhovah qui ont toujours fait preuve de discipline et de bonne conduite ; que chaque lundi, ils assistent à la levée des couleurs et lorsque l’hymne national est chanté, ils se lèvent silencieusement et respectueusement et ce, tout au long de leur scolarité ; qu’à aucun moment ils n’ont perturbé ni manqué de respect à ce chant ; que punir un enfant pour avoir exprimé ses valeurs les plus profondes constitue en soi un acte grave portant atteinte aux droits de l’enfant ;

  1. Considérant que la Direction de la Législation et du Contentieux , en son mémoire en défense en date du 04 avril 2023 soutient que les enfants n’ont jamais été interdits de revenir en cours mais il leur a été demandé de respecter la discipline scolaire au même titre que tous les autres élèves sur la base du principe d’égalité  ; que leur comportement est source de troubles tant pour leur scolarité que pour le système éducatif en général ; que par ailleurs, l’article 2 de la Constitution pose le principe de la laïcité de l’Etat à l’égard de la religion ; que l’enseignement public est par conséquent laïc , et que tous les citoyens malagasy sans aucune distinction sont tenus au respect des principes républicains tirés de la Constitution ;

  Que la Cour Européenne des droits de l’homme a rendu une jurisprudence en la matière concernant le fait que certains élèves portent le signe ou tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse ; que la Constitution malagasy reconnait la liberté de conscience et de religion mais pose également des limites à ces libertés dont l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, la dignité nationale et la sécurité de l’Etat ;

 Que l’hymne national démontre non seulement l’identité nationale mais également un emblème de la souveraineté nationale ; qu’il est lié à la République et doit bénéficier d’une protection juridique car inscrit dans la Constitution ; qu’il est question de sauvegarde de l’ordre public et de la dignité nationale ainsi que du respect de la laïcité de l’enseignement public ; qu’il ne saurait être fait de discriminations basées sur des convictions religieuses de tous les élèves inscrits ;

Que l’obligation de chanter l’hymne national figure dans le règlement intérieur de l’établissement ainsi que dans le carnet de correspondance signés par les parents et l’enfant ; que le choix de l’inscription au lycée public équivaut à un engagement au respect de la discipline au sein de l’établissement ;

 Que le fait de soulever l’article 9 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant pose la question de savoir si le litige porte bien sur l’intérêt supérieur de l’enfant ou plutôt celui de ses parents ; que le présent litige reflète une influence et une instrumentalisation religieuse de l’enfant de manière à ce que tous acceptent les dogmes des Témoins de Jéhovah contre les principes républicains dans la mesure où proclamer servir la Nation n’est pas conforme à leur dogme , ainsi que des comportements contraires aux intérêts de la Nation ; qu’un tel acte va à l’encontre de l’unité nationale , les principes républicains et prône le totalitarisme ou le ségrégationnisme à caractère ethnique, tribal ou confessionnel ;

 Que concernant le droit à l’éducation prévu par l’article 23 de la Constitution, la Direction de la Législation et du Contentieux souligne que la loi sur l’orientation générale du système éducatif à Madagascar en ses articles 20, 33 et 106 pose l’obligation de respecter les règles de fonctionnement de la vie collective dans les établissements, ainsi que les missions de l’éducation entre autres enseigner au citoyen les valeurs républicaines, les principes de la démocratie, le sens du patriotisme, de l’unité nationale ainsi que les valeurs civiques universelles ; que les établissements d’enseignements et de formation sont également appelés à développer chez les apprenants le sens civique et les valeurs de la citoyenneté ; que la loi est la même pour tous, qu’elle protège, qu’elle oblige ou qu’elle punisse ; que le principe d’égalité trouve bel et bien son application dans le cas d’espèce ;

Qu’enfin, la revendication de faire prévaloir la liberté de conscience et de religion au détriment de l’ordre public et de la dignité nationale constitue un acte de pression et de provocation à l’égard des enseignants et des autres élèves risquant ainsi de perturber le service public de l’éducation ou de troubler le bon fonctionnement du lycée ;

Sur la question de la constitutionnalité de l’obligation pour un élève de chanter l’hymne national :

  1. Considérant de prime abord que la juridiction constitutionnelle est garante de la suprématie de la Constitution ; que les différents traités internationaux et conventions soulevés par la partie requérante ont fait l’objet de ratification conformément aux dispositions de l’article 137 alinéa 3 de la loi fondamentale ; que ces conventions et traités internationaux font partie intégrante du droit positif malagasy et les libertés et droits qui y sont énumérés, sont reconnus à chaque malagasy sans discrimination fondée sur quoi que ce soit  ;
  1. Considérant que le préambule de la Constitution de la Quatrième République de Madagascar reconnait la croyance du Peuple malagasy en un « Andriamanitra Andriananahary »  soit en un « Dieu créateur » sans pour autant reconnaître une quelconque religion officielle ou religion d’Etat ; que la diversité religieuse dans la société malagasy a conduit le constituant à inscrire dans ce préambule différentes valeurs et principes fondamentaux traditionnels basés sur le « fanahy malagasy » entre autres le « fifanajana » soit le respect mutuel qui est le corollaire même de l’esprit de la tolérance ;
  1. Considérant que les articles 1er et 2 de la Constitution disposent que « le Peuple malagasy constitue une Nation organisée en Etat souverain, unitaire, républicain et laïc  (…) l’État affirme sa neutralité à l’égard de différentes religions. La laïcité de la république repose sur le principe de la séparation des affaires de l’Etat et des institutions religieuses et de leurs représentants (…) » ; que la lecture combinée de ces deux articles, avec le préambule de la Constitution sus référencié démontre que l’Etat Malagasy ne reconnait aucune religion officielle et que la pluralité de religions est effectivement admise ;
  1. Considérant qu’à l’instar de certains pays francophones, le constituant malagasy a inscrit clairement dans l’article 4 de la loi fondamentale en son alinéa 4 que « l’hymne national est Ry Tanindrazanay Malala ô» et ce, parmi les dispositions portant sur la devise nationale, le drapeau national, la langue nationale, les sceaux et les armoiries qui représentent les symboles de la République ainsi que de l’identité nationale ;
  2. Considérant que l’hymne national peut être défini comme étant une composition musicale destinée à représenter un Etat ou une Nation qui véhicule l’identité du pays et contribue à entretenir un sentiment d’appartenance ; que ni les paroles de l’Hymne National malagasy ni ses origines ne font référence à une quelconque religion en respect du principe de la laïcité, et ne traduit en aucun cas une forme de dévotion religieuse envers le pays relevé à un statut de « Dieu »  mais plutôt une forme suprême de patriotisme confiant le pays entre les mains d’un Dieu créateur , le « Zanahary » au sens du préambule de la Constitution affirmant la croyance du Peuple Malagasy, sans exception, en un « Andriamanitra Andriananahary » que l’on retrouve dans toutes les religions mais sous appellations différentes ;
  1. Considérant que l’article 23 de la Constitution reconnait le droit à l’instruction et à l’éducation citoyenne à chaque enfant malagasy ; que l’article 33 de la loi n°2022-018 du 30 Janvier 2023 portant orientation générale du système éducatif à Madagascar a confié à l’école et aux établissements d’enseignement et de formation les cours d’éducation à la citoyenneté et au civisme , sans distinction fondée sur quoi que ce soit ; que l’article 93 pose le développement de l’identité nationale  parmi les objectifs de l’éducation à la citoyenneté et au civisme;
  1. Considérant que l’obligation de chanter l’hymne national lors de la levée des drapeaux dans les écoles n’a pas été instituée dans le but de sauvegarde de l’ordre public  et n’a aucun trait à l’application du principe de la laïcité, mais  fait partie intégrante de l’apprentissage citoyen au même titre que les autres matières obligatoires ;  que les apprenants doivent connaître et  comprendre le sens et les symboles de la République de Madagascar ; que par extrapolation, chanter l’hymne national durant la levée des drapeaux est non seulement une cérémonie qui honore les couleurs nationales, mais aussi et surtout, une initiation au respect des symboles et des valeurs de la République y compris connaître les paroles et le chant de l’hymne national ;
  1. Considérant par conséquent que l’inscription de l’obligation de chanter l’hymne national lors de la levée de drapeau dans le règlement intérieur des écoles ne porte pas atteinte à la liberté de religion et de conscience et est dès lors conforme aux dispositions de l’article 10 de la loi fondamentale ;

Sur la question de la constitutionnalité d’un renvoi temporaire, voire définitif d’ un élève dont la conscience religieuse ne lui permet pas de chanter l’hymne national :

  1. Considérant que l’article 6 de la Constitution prévoit que « la loi est l’expression de la volonté générale. Elle est la même pour tous, qu’elle protège, qu’elle oblige ou qu’elle punisse. Tous les individus sont égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans discrimination fondée sur le sexe, le degré d’instruction, la fortune, l’origine, la croyance religieuse ou l’opinion » ; que l’article 7 est rédigé comme suit :« les droits et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution et leur exercice est organisé par la loi » ; que l’article 10 ne pose comme limites dans l’exercice des droits fondamentaux que  « le respect des libertés d’autrui et l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat ; »
  2. Considérant que la liberté de religion garantie par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 14 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant, l’article 8 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, l’article 9 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ainsi que l’article 6 de la Charte africaine de la Jeunesse est reconnue, sans discrimination par la Constitution à chaque enfant malagasy ;
  1. Considérant que le droit positif malagasy a également fait sienne la Charte Internationale des droits de l’homme et les pactes successifs qui la complètent , et les conventions relatives aux droits de l’enfant et la protection des droits sociaux, économiques,  politiques, civils et culturels ; que le constituant malagasy a posé parmi les conditions du développement durable et intégré , facteur essentiel de l’épanouissement de la personnalité de l’identité de tout malagasy, le respect et la protection des libertés fondamentales et l’élimination de toute forme d’injustice, d’inégalité et de discrimination ;
  2. Considérant qu’il est important de rappeler que dans le cas d’espèce, les enfants concernées par le présent litige ont été convoquées dans le bureau du Proviseur en présence des professeurs et ont été contraints de chanter l’hymne national malagasy ; qu’il n’est cependant exigé de l’élève de chanter l’hymne national que pendant la levée de drapeau ou encore dans le cadre des cours d’éducation civique et citoyenne, un cadre règlementé par la loi; qu’en dehors de ces circonstances, l’élève n’est nullement obligé de chanter l’hymne national ; que dans ce cas, l’obligation s’apparenterait à une punition ; que cependant, le règlement  intérieur des écoles publiques comporte des échelles de sanctions tenant compte de la violation qui est imputée à l’élève ; que les enseignants sont tenus au devoir d’appréciation de  l’opportunité et la proportionnalité de la sanction ;
  1. Considérant de surcroit que l’école est une institution républicaine destinée à l’acquisition de connaissances et de savoirs, un lieu  d’apprentissage par excellence pour les enfants malagasy de la vie en société; qu’il appartient aux professeurs de leur inculquer les valeurs  et les principes  fondamentaux de la République énoncés dans le préambule de la Constitution, principes fondamentaux traditionnels basés sur le « fanahy malagasy » qui comprend « ny fitiavana, ny fihavanana, ny fifanajàna, ny fitandroana ny aina », et privilégiant un cadre de vie permettant un « vivre ensemble » sans distinction de région, d’origine, d’ethnie, de religion, d’opinion politique, ni de sexe;
  1. Considérant enfin que le renvoi de trois enfants, de même confession religieuse, ayant refusé de chanter l’hymne national en dehors des séances de levée de drapeau ainsi que des cours d’éducation citoyenne, viole leurs  droits fondamentaux reconnus par la Constitution entre autres le droit à l’éducation (article 23), la liberté de conscience et de religion (article 10) ,  et s’apparente sans aucun doute à une discrimination fondée sur la religion ; que de tout ce qui précède,  leur renvoi  temporaire ou définitif  n’est pas conforme aux dispositions du préambule ainsi qu’aux  articles 6 et 7  de la Constitution ;

EN CONSEQUENCE
DECIDE

Article premier. – La saisine en exception d’inconstitutionnalité formulée par le Président du Tribunal Administratif de Fianarantsoa, régulière en la forme, est recevable.

Article 2.- L’inscription de l’obligation de chanter l’hymne national lors de la levée de drapeau dans le règlement intérieur des écoles ne porte pas atteinte à la liberté de religion et de conscience et est conforme aux dispositions de l’article 10 de la Constitution.

Article 3.- Le renvoi temporaire ou définitif d’élèves dont la religion ne leur permet pas de chanter l’hymne national en dehors de la levée des couleurs est discriminatoire et n’est pas conforme aux dispositions du préambule ainsi qu’aux articles 6 et 7 de la Constitution.

Article 4.- La présente décision sera notifiée au Président du Tribunal Administratif de Fianarantsoa, à Mesdames RAVOLOLONIRINA Anastasie Pascaline et RAZAINJAFY Jacqueline Odette, à la Direction de la Législation et du Contentieux, à l’Association Africaine des Témoins de Jéhovah, au Ministre de l’Education Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal Officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée et par visioconférence tenue à Antananarivo, le vendredi dix-huit août de l’an deux mille vingt-trois à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia,Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.