La Haute Cour Constitutionnelle,

 Vu la Constitution ;

Vu l’Ordonnance n° 2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la

Haute Cour constitutionnelle ;

Vu la loi n°61-025 du 09 octobre 1961 relative aux actes de l’état civil et les textes subséquents ;

Vu la loi n°63-022 du 20 novembre 1963 sur la filiation, l’adoption, le rejet et la tutelle et les textes subséquents ;

Vu la loi n°2007-022 du 20 août 2007 relative au mariage et aux régimes matrimoniaux ;

Vu la loi n°2014-038 du 09 janvier 2015 sur la protection des données à caractère personnel ;

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948;

Vu le Pacte International relatif aux droits civils et politiques et le Protocole Facultatif se rapportant audit Pacte en date du 16 décembre 1966 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

  1. Considérant que par lettre n°147-PRM/SG/DEJ-18 en date du 14 décembre 2018, le Président de la République par intérim a saisi la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, de la loi n°2018-027 relative à l’état civil ;
  1. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes» ; que selon l’article 117 de la Loi fondamentale : « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;
  1. Considérant que la loi n° 2018-027 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances respectives des 24 octobre et 27 novembre 2018 ;
  1. Considérant qu’ayant respecté les dispositions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité des lois, la saisine introduite par le Président de la République par intérim, est ainsi régulière et recevable ;

AU FOND

Sur le domaine de la loi

  1. Considérant que la Constitution dispose en son article 95.I.1° que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux individus […] ; que l’article 95.I.11° ajoute que la loi fixe « l’état et la capacité des personnes » ; que la présente loi n°2018-027 relative à l’état-civil relève bel et bien du domaine de la loi ;

Sur le caractère absolu du droit à l’état-civil

  1. Considérant que la Constitution dispose en son article 17 que « L’Etat Malagasy organise l’exercice des droits qui garantissent pour l’individu l’intégrité et la dignité, son plein épanouissement physique, intellectuel et moral » ; que le Pacte International relatif aux droits civils et politiques dispose en son article 2 alinéa 2 que « Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom» ; que l’article 6 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ajoute que « tout enfant a droit à un nom dès sa naissance. Tout enfant est enregistré immédiatement après sa naissance. Tout enfant a le droit d’acquérir une nationalité » ;
  1. Considérant que d’après l’article premier de la présente loi déférée devant la Cour, celle-ci a pour objet de prévoir les règles relatives à l’état civil des citoyens, aux actes d’état civil ainsi que les procédures d’enregistrement des faits d’état civil et à leur gestion informatisée ; qu’elle garantit à toute personne la jouissance du droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique ; que la présente loi se conforme ainsi à l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme selon lequel « Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique » et à l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose que « Tout individu a droit à la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de la personnalité juridique » ;
  1. Considérant que l’état civil est constitué par l’ensemble des éléments d’identification d’une personne et de sa situation dans la famille et au sein de la société, qui détermine sa  capacité  d’agir  et  son aptitude à accomplir des actes juridiques (article 2) ;
  1. Que l’acte d’état civil est un écrit dans lequel l’autorité publique constate, d’une manière authentique, un évènement dont dépend l’état d’une personne ; que les faits d’état civil sont les évènements qui surviennent dans la vie d’une personne et sont de nature à modifier son état civil : naissance, décès, mariage, adoption, divorce, filiation, rejet, reconnaissance ; que le registre d’état civil est un livre dans lequel sont inscrites et transcrites chronologiquement et annuellement, les déclarations d’actes d’état civil reçues et où sont apposées les mentions marginales ;
  1. Considérant qu’un nom reconnu et définitif avec date et lieu de naissance, références de filiation si possible, est la condition pour que l’individu soit sujet de droit, c’est-à-dire puisse affirmer ses droits et les exercer, y compris les faire valoir en justice ou dans la société, droits personnels et familiers sociaux, droits politiques ; que la Convention des droits de l’enfant de 1989 proclame ce « droit individuel fondamental » ;
  1. Qu’en conséquence la présente loi consacre un droit absolu dans sa gratuité, dans sa nécessité, dans son extension, dans son exercice, dans sa permanence, reconnu en droit interne par la Constitution et en droit international par les Conventions internationales universelles et régionales ; 

Sur la protection de la vie privée 

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ; que ces dispositions sont reprises par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que ces deux textes fondamentaux font partie de la Charte internationale des droits de l’homme à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution ;
  1. Considérant qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, ce faisant il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d’autres exigences constitutionnelles ;
  1. Considérant que l’article 13 de la loi déférée dispose : « Les registres d’état-civil ne peuvent être communiqués au public. Toutefois, le Procureur de la République et le Président du Tribunal ainsi que certaines autorités administratives énumérées par voie règlementaire peuvent en requérir communication » ; que le fait d’accorder un tel pouvoir sans conditions et en l’absence de contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés, à des autorités administratives ne donne aucune garantie contre un risque d’atteinte à la vie privée ; que, s’agissant de la protection d’une liberté fondamentale, l’énumération des autorités administratives concernées et les conditions de requête en communication des registres d’état-civil doivent être fixées par la loi ; qu’en conséquence la disposition selon laquelle « certaines autorités administratives énumérées par voie règlementaire peuvent en requérir communication » n’est pas conforme à la Constitution et doit être extirpée de la loi déférée ;

Sur la gestion informatisée des données de l’état civil 

  1. Considérant que l’article 10 dispose que « Il est également tenu une base de données numériques des actes d’état civil (naissances, reconnaissances, décès, mariages, adoptions simples et rejets, transcription des décisions de justice devenues définitives) dans chaque centre d’état civil qui dispose chacun de l’ensemble des actes de l’état civil entièrement numérisés, facilement accessibles et centralisés auprès du centre national d’état civil » ;
  1. Considérant que les dispositions se rapportant à l’informatisation du système d’état civil à Madagascar, sont définies aux articles 113 à 131 de la présente loi ; que d’après l’article 127, « l’utilisation des informations et des données sur l’état civil ou leur transfert par voie électronique (…) est soumise à l’autorisation préalable de l’autorité compétente en matière de contrôle de l’utilisation des données à caractère personnel» ; qu’enfin,  l’article 128 dispose que « le système d’état civil informatisé permet la délivrance de copie d’acte authentique sur tout le territoire national sur la base d’un protocole de vérification et d’authentification qui sera défini par voie réglementaire » ;
  1. Considérant qu’en dehors des dispositions propres prévues par la présente loi, la gestion informatisée des données de l’état-civil est soumise à la loi n°2014-038 sur la protection des données à caractère personnel et à la décision n°02-HCC/D3 du 7 janvier 2015 de la Haute Cour Constitutionnelle ; 

Sur la nécessité d’ordre public de l’état-civil 

  1. Considérant qu’un nouvel élément est apporté dans la présente loi pour permettre d’identifier, d’individualiser chaque personne dès sa naissance ; qu’ainsi l’article 38 dispose qu’ « il est attribué à chaque personne à la naissance, un numéro unique d’identification, délivré par l’Etat, appliqué dans tout le territoire, permettant de l’individualiser et de l’identifier. Les conditions et modalités d’attribution de cet identifiant sont fixées par voie réglementaire. Cet identifiant doit figurer dans les actes d’état civil et les actes de l’administration nécessitant l’identification d’une personne» ;
  1. Considérant que l’Etat n’est rien sans état-civil de sa population, sans recensement, sans identification et mesures statistiques complètes ; que le droit international n’est rien sans état-civil incontestable et infalsifiable ; qu’il n’y a pas de politique publique, d’ordre public sans état-civil ;
  1. Considérant qu’il existe toujours le risque d’abus de droit si l’état-civil comprend des informations au-delà des nécessités de l’ordre public (intimité, fichiers discriminatoires, etc.) ; que les termes « actes de l’administration nécessitant l’identification d’une personne » prêtent à discussion et peut porter atteinte à l’intégrité de l’individu ; que les mots « actes de l’administration » devraient être bien définis, l’identifiant ne devant servir que pour les actes d’état civil ;

 

EN CONSEQUENCE

D E C I D E :

Article premier.- Les termes « certaines autorités administratives énumérées par voie règlementaire peuvent en requérir communication » de l’article 13 de la loi n°2018-027 relative à l’état-civil ne sont pas conformes à la Constitution et doivent être extirpés de la loi.

Article 2.La gestion informatisée des données de l’état-civil est soumise à la loi n°2014-038 sur la protection des données à caractère personnel et à la décision n°02-HCC/D3 du 7 janvier 2015 de la Haute Cour Constitutionnelle.

Article 3.- Sous réserve de la détermination de l’usage de l’identifiant soulevée au Considérant 20, les dispositions de la loi n°2018-027 relative à l’état civil sont déclarées conformes à la Constitution et peuvent faire l’objet d’une promulgation.

Article 4.La présente Décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi vingt-trois janvier  l’an deux mille dix-neuf à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne

Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller

Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller

Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère

Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller

Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère

Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller

Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère,

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.