La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la Délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle, modifiée et complétée par la délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 201 ;

Vu la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En la forme

1.Considérant que par lettre n°132-PRM/SGP/SGA/DEJ/2023 du 13 décembre 2023, déposée le même jour au greffe de la Haute Cour de céans, le Chef d’Etat par intérim, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, saisit la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité, préalablement à sa promulgation, de la loi n°2023-021 portant loi de finances pour 2024 ;

2.Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » et que selon l’article 117 de la loi fondamentale, « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur la conformité à la Constitution » ;

3.Considérant, d’une part, que l’objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu des articles 90, 95, 116 et 117 de la Constitution ; que le Parlement autorise chaque année par le vote du budget les dépenses et les recettes de l’Etat ; que d’autre part, l’article 92 alinéa premier de la Constitution dispose que « le Parlement examine le projet de Loi de finances au cours de sa seconde session ordinaire» ; qu’ayant ainsi respecté les dispositions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité des lois, la saisine introduite par le Chef d’Etat par intérim est régulière et recevable ; qu’ainsi, la loi n°2023-021 portant loi de finances pour 2024 est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ;

Au fond 

4.Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 19 de la loi déférée, « Il est créé à partir de l’année 2024 dans les écritures du Payeur Général d’Antananarivo, un Compte d’Affectation Spéciale intitulé « Recouvrement des avoirs illicites » au nom de l’Agence de Recouvrement des Avoirs Illicites, entité rattachée à la Présidence de la République.

Ce Compte d’Affectation Spéciale est destiné :

  • A recevoir les fonds correspondant aux avoirs illicites et les produits de la vente des avoirs illicites, en application des décisions de confiscation définitive. Quatre-vingt-dix pourcent (90%) de chaque versement dans le compte est à reverser au profit du budget général de l’Etat, et
  • A prendre en charge les dépenses inhérentes à la conservation et à la sécurisation des biens saisis.

Les conditions de gestion de ce compte particulier seront fixées par Décret. » ;

5.Considérant que l’universalité est au nombre des principes qui s’imposent au législateur lorsqu’il élabore les lois de finances dans le cadre de l’article 90 de la Constitution ; que de ce principe découle l’obligation pour le législateur de présenter de manière distincte les dépenses et les recettes sans compensation ou contraction ni affectation des recettes aux dépenses tel que l’énonce l’article 5 de la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances : « Il est fait recette du montant intégral des produits sans contraction entre les recettes et les dépenses. L’ensemble des recettes assurant l’exécution de l’ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont retracées sur un compte unique intitulé : Budget Général de l’Etat. » ;

Que l’article 33 de la même loi organique énonce que «La création, à l’initiative du Gouvernement, sur proposition des Ministres chargés des Finances et du Budget, des Comptes Particuliers du Trésor revêt un caractère exceptionnel et ne peut être autorisée que pour retracer les dépenses et les recettes relatives à des opérations d’intérêt national dont la réalisation est poursuivie dans le cadre des priorités définies par l’Etat en matière de développement économique et social. » ;

Que de ces dispositions, il ne saurait être loisible au législateur de se délier de l’obligation à laquelle il est subordonné que pour autant qu’une poursuite de but légitime le justifie ;

6.Considérant que dans les mesures qu’il a adoptées dans l’article 19 sus cité, le législateur entend poursuivre le but de rendre plus effectif le fonctionnement du système anti-corruption mis en place tel que le laisse entendre l’exposé des motifs de la loi en ces termes : «  Les trois principaux piliers seront retenus pour l’année 2024 (…)-Le pilier de la gouvernance avec un renforcement des réformes et de la lutte contre la corruption. » ;

Que dans ces conditions, le législateur n’a pas méconnu le principe de l’universalité budgétaire ;

Sur l’article 20 de la loi déférée

7.Considérant que l’article 20 de la loi déférée énonce qu’ « Il est autorisé la création et la perception par le Ministère en charge de l’Artisanat, au profit du Budget Général de l’Etat, d’une redevance au titre des services rendus intitulée : Droits relatifs à la certification des produits artisanaux faits mains destinés à l’exportation.

L’assiette, le taux et les modalités de recouvrement de ladite redevance seront fixés par voie règlementaire. » ;

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 90 de la Constitution : « Dans le cadre de la loi organique applicable en la matière, la loi de finances :

1°- détermine les ressources et les charges de l’Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ;

2°- détermine, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation  des ressources et des charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte compte tenu des contraintes d’ordre macroéconomique (…) ». ;

Que selon l’article 5 de la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances, « Les ressources et les charges de l’Etat comprennent les opérations budgétaires et les ressources et les charges de trésorerie.

Les ressources et les charges du Budget Général de l’Etat sont retracées chaque année, pour une année, dans le Budget Général de l’Etat, sous forme de recettes et de dépenses.

L’autorisation de percevoir les impôts est annuelle : elle ne peut résulter que d’une loi de finances. » ;

Que de ces dispositions, il est déduit que le législateur, dans l’exercice de son pouvoir d’élaborer la loi, doit respecter l’étendue de celui-ci et l’utiliser de manière exclusive et intégrale;

9.Considérant qu’en confiant le soin de fixer l’assiette et le taux de la redevance qu’il a créée au pouvoir règlementaire, le législateur a méconnu l’étendue de ses pouvoirs, ce qui entache le dernier alinéa de l’incompétence négative ; qu’il s’ensuit que cet alinéa est inconstitutionnel et doit être extirpé du texte de la loi déféré ;

Considérant que l’alinéa déclaré inconstitutionnel présente un caractère détachable ; que les autres dispositions de la loi déférée ne sont pas contraires à la Constitution ;

EN CONSEQUENCE,
DECIDE

Article premier.- La saisine du Chef d’Etat par  intérim est recevable.

Article 2. – Le dernier alinéa de l’article 20 de  la loi n°2023-021 portant loi de finances pour  2024 est déclaré non conforme à la Constitution et doit être extirpé.

Article 3.- Les autres dispositions de la loi déférée sont conformes à la Constitution.

Article 4.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat et sera publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée par visioconférence tenue à Antananarivo, le mardi dix-neuf décembre l’an deux mille vingt-trois à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniaina Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia,Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.